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citrons, qui demandaient à Raphaël le secret de ses Vierges, et qui parfois peut-être, tout protestans qu’ils fussent encore, priaient ces encourageantes madones pour les péchés de leur auteur. Saint Luc était leur patron : et, comme économe de leur frugal régime, ils avaient choisi l’un d’entre eux, Frédéric Overbeck. Chaque soir, ils quittaient leurs cellules pour se montrer entre eux leurs dessins ; le samedi, les propos étaient plus longs, roulaient sur la nature de l’art ; on concluait, fort avant dans la nuit, que l’art était une prière ; et Overbeck s’en allait prier, le lendemain matin, en quelque église catholique. Son père, un imposant sénateur de Lubeck, se reprocha bientôt amèrement d’avoir permis au jeune homme de se faire peintre, puisque la peinture le rendait papiste. Et, dès 1813 en effet, Overbeck fit acte formel de « papisme, » entre les mains du futur cardinal Ostini. Il avait encore cinquante-trois ans à vivre ; sauf deux échappées rapides en Allemagne, il les devait passer à Rome. Cornélius, le seul membre du petit groupe qui fût par sa naissance un fidèle de l’Eglise romaine, écrivait de lui : « Overbeck est peut-être le plus grand artiste qui vive ici. Il est en outre l’humilité, la modestie même. » Cet humble, ce modeste, qui rappelait à ses visiteurs les figures les plus émaciées des peintres de Sienne, et qui semblait descendre d’un vieux tableau de sainteté, ouvrit à Rome un baptistère, en même temps qu’il fut chef d’école.

On avait pu soupçonner Winckelmann, — et Goethe répéta le reproche dans un assez perfide écrit, — de ne s’être converti, un demi-siècle auparavant, que pour s’assurer à Rome de plus grandes facilités de travail : l’hospitalité païenne des musées du Vatican ne valait-elle pas une messe ? Mais, quoi qu’il en fût de Winckelmann, il était impossible d’imaginer, à l’origine des conversions d’Overbeck et de ses amis, le moindre mobile d’intérêt. Dans la Rome papale, ils n’eurent absolument aucune commande, si ce n’est de la part de leurs compatriotes allemands ; le Vatican les connut à peine ; et Montalembert pouvait écrire, en 1832 : « Les Italiens ne comprennent pas Overbeck le moins du monde. » Mais qu’importait à ces artistes que Rome sourît à leur métier ? Rome plaisait à leurs âmes, et cela suffisait pour que le même séjour qui, trois cents ans plus tôt, avait fait de Luther un protestant, les rendît, eux, catholiques.

On avait perdu l’habitude, à l’école des théologiens rationalistes,