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V

Quelque attirés que fussent les romantiques par les vestiges de l’Allemagne d’autrefois, ils ne pouvaient résister, cependant, aux appels enchanteurs de l’Italie. Lucas de Leyde. dans le roman de Tieck, dissuade Sternbald de descendre au delà des Alpes : « Vous ne deviendrez pas un Italien, lui dit-il, et vous ne resterez pas un Allemand. Nous ne sommes pas faits pour les antiques ; nous ne les comprenons même pas ; notre domaine, c’est la vraie nature du Nord ; et plus nous la saisissons, plus nous sommes artistes. » Mais Sternbald, passant outre, prend la route du Midi, « L’Italie est un beau pays où le bon Dieu prend soin de tout, dira plus tard l’un des personnages d’Eichendorff : on n’a qu’à s’étendre sur le dos pour se réchauffer aux rayons du soleil ; les raisins vous poussent dans la bouche. » Le lazzarone insouciant et paresseux, qu’il y avait au fond de tout romantique et qui affectait d’aller tout droit devant lui, ne détestait pas que la surprise d’un vagabondage rêveur l’amenât en Italie. Et puis, là-bas, il y avait la musique, non pas une musique guerrière comme celle qui se jouait, au témoignage de Mme de Staël, dans l’église catholique de Dresde, mais une musique vraiment religieuse ; et les romantiques, qui aimaient tout ce que l’art musical recèle d’indéfini, d’inachevé, et, si l’on peut ainsi dire, de romantique en son essence même, aspiraient aux émotions des beaux Miserere romains.

Ainsi balançait leur cœur entre l’Allemagne et l’Italie : l’oscillation se perçoit dans un curieux écrit que publiait en 1797 un tout jeune homme, lié d’amitié avec Tieck, sous le titre : Épanchemens de cœur d’un moine ami des arts. L’auteur, qui rendit bientôt à Dieu sa belle âme d’artiste, s’appelait Wackenroder. Sans préférence d’école et de patrie, il encensait avec la même ferveur Dürer et Raphaël ; il aimait l’art populaire des petites villes allemandes, et l’art plus savant de la Renaissance italienne : car le gothique révélait Dieu, et Raphaël, de son côté, au bas de la petite vignette qui servait de frontispice au livre, était qualifié de divin. Ces confidences d’art étaient une prédication de sainteté. C’en était fait de l’esthétique rationaliste, qui vivait de formules et de conventions : Wackenroder s’agenouillait devant la conception de la beauté comme devant un mystère, et devant