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A Münster vivait à cette date une femme d’esprit affiné, portant un nom illustre en Europe ; c’était la princesse Galitzin. Elle avait promené son âme à travers les diverses confessions chrétiennes, et même en dehors de toutes confessions ; elle était devenue femme philosophe, en France, pour avoir les leçons de Diderot ; et puis, en Allemagne, elle s’était refaite petite fille, pour entendre les catéchismes que prêchait aux enfans de Münster le pieux pédagogue Overberg ; et comme elle avait, depuis 1786, retrouvé la foi catholique en la rapprenant, son salon de Münster était en quelque sorte un vestibule de l’Eglise romaine, en un siècle où les salons remplissaient peu cet office. Stolberg la connut, et par elle il connut Overberg, homme de labeur et de sainteté, grâce à qui le territoire épiscopal de Münster, au déclin du XVIIIe siècle, était renommé dans toute l’Allemagne pour ses institutions d’enseignement primaire. Ces deux amitiés, et les impressions qu’il avait ressenties à Rome, inclinaient Stolberg vers la vieille Eglise ; et déjà d’inquiètes aspirations le tracassaient, lorsque survint une émigrée française, qui devait exercer l’action décisive.

Elle s’appelait Anne-Paule Dominique de Noailles, marquise de Montagu. Elle venait de fonder, en Allemagne, l’Œuvre des Émigrés, pour procurer quelques tricots, quelque argent et quelques vivres, à ces hommes sans terre que les cours et les aristocraties européennes traitaient en parens pauvres, malheureux déracinés à qui leurs titres et même leurs noms devaient paraître ironiques, puisque ces noms et ces titres, empruntés à leurs domaines, étaient l’unique et platonique survivance de leur fortune passée. Mme de Montagu implorait l’Europe pour eux ; Stolberg, en Allemagne et en Danemark, lui servit d’écho. Entre elle et le ménage des Stolberg, une intimité très étroite se noua ; et la charité laborieuse, parfois héroïque, de Mme de Montagu, resplendissait aux yeux de Stolberg comme un fruit de l’arbre catholique, un de ces fruits auxquels l’arbre se juge. « S’il était permis de dire : je crois, lorsqu’on n’a encore que la foi du cœur, lui écrivait-il un jour, je vous dirais à l’instant : Je suis de votre église. » C’était le moment où le traité de Campo-Formio arrachait aux cachots d’Olmütz le général La Fayette : il vint en Holstein avec sa femme, sœur de Mme de Montagu. Mme de La Fayette vit Stolberg ; elle observa, dans cette illustre conscience, les vibrations qu’il appelait « la foi du cœur ; » et elle lança des