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de cette maison ; murs plus hauts qui enferment le quartier et l’isolent ; murs plus hauts encore qui enveloppent toute cette ville et son immobilité séculaire, — au milieu des solitudes ambiantes, sans doute abîmées en ce moment dans l’infini silence et où les neiges doivent être livides sous la lune...


Vendredi 11 mai. — Il fait un froid à donner l’onglée, quand notre départ s’organise, au lever d’un soleil de fête. C’est sur une place, d’où l’on voit les mille petites coupoles de terre rosée s’arranger en amphithéâtre, avec les minarets, les ruines, et, tout en haut, les âpres montagnes violettes.

La ville, qui vibrait hier du délire des cris et des lamentations, se repose à présent dans le frais silence du matin. Un derviche exalté prêche encore, au coin d’une rue, s’efforçant d’attrouper les quelques laboureurs qui s’en vont aux champs, la pelle sur le dos, suivis de leurs ânes. Mais non, personne ne s’arrête plus : il y a temps pour tout, et aujourd’hui c’est fini.

Les belles dames de Koumichah sont vraiment bien matineuses ; en voici déjà de très élégantes qui commencent à sortir, chacune montée sur son ânesse blanche, et chacune enveloppant de son voile noir un bébé à califourchon sur le devant de la selle, qui ne montre que son bout de nez au petit vent frisquet. C’est vendredi, et on s’en va prendre la rosée de mai hors de la ville, dans les jardins frissonnans, entourés de hauts murs dissimulateurs.

Nos chevaux sont fatigués, bien qu’on ait passé la nuit à leur frictionner les pattes, et surtout à leur étirer les oreilles, — ce qui est, paraît-il, l’opération la plus réconfortante du monde. Aussi partons-nous d’une allure indolente, le long de ces jardins clos, dont les murs de terre sont flanqués à tous les angles d’une tourelle d’émail bleu. A la limite des solitudes, une mosquée très sainte mire dans un étang son merveilleux dôme, qui, auprès des constructions en terre battue, semble une pièce de fine joaillerie ; il luit au soleil d’un éclat poli d’agate ; l’émail dont il est revêtu représente un fol enchevêtrement d’arabesques bleues, parmi lesquelles s’enlacent des fleurs jaunes à cœur noir.

Et puis, derrière une colline aride, ce prodigieux ouvrage de terre qu’est Koumichah disparaît d’un coup, avec ses tours, ses cinquante minarets, ses mille petites coupoles bossues ; voici encore devant nous l’espace vide, et le tapis sans fin des fleurettes