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Il y a trois immenses hypogées, espacés et en ligne, au flanc de la montagne brune ; pour rendre inaccessibles ces tombeaux de Darius et des princes de sa famille, on a placé la bouche des souterrains à mi-hauteur de la paroi abrupte, et nous ne pourrions monter là qu’avec des échelles, des cordes, tout un matériel de siège et d’escalade. L’entrée monumentale de chacun de ces souterrains est entourée de colonnes et surmontée de bas-reliefs à personnages, le tout taillé à même le roc ; la décoration paraît inspirée à la fois de l’Egypte et de la Grèce ; les colonnes, les entablemens sont ioniens, mais l’aspect d’ensemble rappelle la lourdeur superbe des portiques de Thèbes.

Au-dessous de ces tombeaux, à la base même de la montagne funéraire, dans des carrés taillés en creux, d’autres bas-reliefs gigantesques ont l’air de tableaux dans leur cadre, posés ça et là sans ordre. Ils sont postérieurs aux hypogées et datent des rois Sassanides ; les personnages, de quinze ou vingt pieds de haut, ont eu presque tous la figure mutilée par les Musulmans, mais différentes scènes de bataille ou de triomphe imposent encore. On voit surtout un roi Sassanide, l’attitude orgueilleuse sur son cheval de guerre, et, devant lui, un empereur romain, reconnaissable à sa toge, un vaincu sans doute, qui s’agenouille et s’humilie ; c’est le plus saisissant et aussi le plus énorme de tous ces groupes, encadrés par la roche primitive.

Les conquérans d’autrefois s’y entendaient à détruire ! et on est confondu aujourd’hui en présence du néant dans lequel tant de villes fameuses ont pu être d’un seul coup replongées : Carthage par exemple, et, ici même, au pied de ces palais, cette Istakhar qui avait tant duré, qui avait été une des gloires du monde et qui, au VIIe siècle de notre ère, sous le dernier roi Sassanide, continuait d’être une grande capitale : un jour, passa le Khalife Omar, qui ordonna de la supprimer et de transporter ses habitans à Chiraz ; ce fut fait comme il l’avait dit, et il n’en reste rien, à peine une jonchée de pierres dans l’herbe ; on hésite à en reconnaître la trace.

Je cherchais des yeux, parmi tant d’informes débris, un monument plus ancien que les autres et plus étrange, que des Zoroastriens émigrés dans l’Inde m’avaient signalé comme existant toujours. Et voici qu’il m’apparaît, très proche, farouche et morne sur un bloc de rochers en piédestal. D’après la description qui m’en avait été faite, je le reconnais au premier abord, et