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essayé, timidement et tardivement, de le faire respecter par les autres. Il y a perdu en quelques jours sa fragile popularité. Pour vivre aujourd’hui, il faut céder, toujours céder, ne manifester sur aucun point la moindre velléité de résistance, enfin se laisser aller au courant sans se préoccuper de savoir où il vous portera. Cette conception du pouvoir est d’ailleurs à la portée de toutes les intelligences : il faut croire que les gouvernemens antérieurs en ont pourtant eu une autre, puisqu’ils sont tombés. Cela doit étonner beaucoup M. Combes. Il se dit sans doute que son procédé est bien simple, mais qu’il fallait encore le trouver, comme Christophe Colomb a trouvé le moyen de faire tenir un œuf debout. La vérité est que les autres avant lui, et y compris M. Waldeck-Rousseau lui-même, avaient une notion différente du gouvernement et de la dignité de ceux qui l’exercent. Le liège flottant sur l’eau serait une fidèle image de M. Combes, si le liège pouvait parler, car M. Combes parle, et la preuve en est que M. Anatole France vient d’écrire une préface pour ses discours. Un bouquet d’orchidées qui aurait fleuri sur une caisse d’emballage serait un emblème assez exact de cette aventure.

La dernière œuvre de notre ministre est un projet de loi « relatif à la suppression de l’enseignement congréganiste. » En le déposant, M. Combes a réalisé une promesse qu’il avait faite devant le Sénat, au cours d’une séance et conformément à l’inspiration du moment. Lorsque M. Combes est venu au Luxembourg ce jour-là, il ne savait très probablement pas qu’il serait amené à prendre cet engagement. On discutait la loi de M. Chaumié sur l’enseignement secondaire : tout d’un coup un sénateur, M. Girard, a proposé d’interdire l’enseignement à tous ceux qui auraient fait les vœux d’obéissance et de célibat, ce qui comprenait les prêtres séculiers aussi bien que les congréganistes. Nous avons relaté l’incident, et nos lecteurs ne l’ont sans doute pas oublié. M. Chaumié a dit que, le gouvernement n’ayant pas délibéré sur l’amendement, il lui était impossible à lui, sinise ministre de l’Instruction publique, de se prononcer, et l’affaire a été remise au lendemain. M. Combes a été alors entendu. Il s’était rendu compte, en y réfléchissant pendant la nuit, qu’adopter l’amendement Girard serait en quelque sorte manger son blé en herbe : l’idée de M. Girard était bonne, si bonne même qu’il fallait la garder pour plus tard. On a pu surprendre, en cette occasion, un des procédés de M. Combes pour faire durer son ministère. Il s’est contenté de promettre avant la clôture de la session le dépôt d’un projet de loi qui supprimerait complètement l’enseignement des congréganistes, en