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à la guerre religieuse, et proclamaient bien haut que l’Église était l’ennemie. Bientôt la presse est venue en aide à la propagande déchaînée. Des journaux se sont expressément fondés en haine de la religion, et ils ont déjà remplacé dans beaucoup de mains ceux qui, en d’autres temps, prêchaient le radicalisme ou le socialisme. Le radicalisme semble désormais bien pâle ; aussi les radicaux s’intitulent-ils volontiers radicaux-socialistes afin de. se barioler d’une couleur plus à la mode. Mais la couleur socialiste elle-même commence à être démodée, et nous voyons les congrès de la Libre-pensée remplacer, ou sur le point de remplacer les congrès socialistes autrefois remplis par le bruyant et interminable duel de M. Jaurès et de M. Guesde. La Libre-pensée seule est à l’ordre du jour, plus hardie, plus audacieuse, plus impérieuse que jamais. Elle vient de tenir à Paris un congrès « national, » qui ne se contente pas de réclamer la séparation de l’Église et de l’État, mais qui poursuit la destruction de l’Église. Elle sera d’ailleurs avantageusement remplacée par la Libre-pensée elle-même. La Libre-pensée demande qu’on ferme nos vieilles églises, mais qu’on construise des salles dans les mairies pour y célébrer ses propres fêtes ; qu’on lui donne des permis de chemin de fer pour se rendre aux congrès futurs ; enfin qu’on la favorise et qu’on la subventionne sous une forme indirecte en attendant qu’on le fasse ouvertement. On aurait tort de croire qu’elle soit vraiment favorable à la séparation de l’Église et de l’État. Ce n’est pour elle qu’une forme transitoire en vue d’arriver le plus tôt possible à l’union intime de la nouvelle Église et de l’État, ou plutôt à la subordination de celui-ci à celle-là : théocratie à rebours, aussi excessive dans ses prétentions dominatrices qu’a pu l’être jamais celle d’autrefois.

M. Combes a beaucoup de chemin à faire pour atteindre le but final qu’on lui propose, ou qu’on lui impose. Nous ne savons pas s’il le parcourra tout entier, et ce n’est pas à lui qu’il faut le demander, car il ne le sait pas davantage. Il va comme on le pousse. Il ira aussi longtemps et aussi loin qu’on le poussera. Mais il opère par étapes, jugeant avec raison que c’est pour lui le meilleur moyen de durer. Son art, d’ailleurs assez facile, est d’avoir toujours quelque chose à promettre, et surtout de ne s’opposer jamais à rien. — Tout vient à point, dit-il, à qui sait attendre : attendez donc ; et comptez sur moi pour aller jusqu’au bout. — L’exemple de M. Waldeck-Rousseau lui a profité : il a compris très vite que c’était un exemple à ne pas suivre M. Waldeck-Rousseau s’était fixé à lui-même un point d’arrêt et il a