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mais en celles-là sûrement, l’œuvre de M. d’Indy mérite de porter de tels noms.

Ailleurs on la définirait plutôt par le terme d’opéra symphonique. De la symphonie, de cette puissance redoutable qui fait aujourd’hui parmi les musiciens tant de victimes, ou du moins tant d’esclaves, M. d’Indy, mieux que pas un autre, sait être et rester le maître. Il en connaît, il en possède et, pour ainsi dire, il en manie les deux élémens, ou les deux forces. L’une, plus matérielle, consiste dans l’instrumentation : dans la quantité des sons et dans leur qualité, dans le choix et la combinaison des timbres, qui sont comme la couleur de la musique, ses lumières et ses ombres. De la science ou de l’art instrumental. rien n’est étranger à M. d’Indy. Son orchestre, dans la tempête finale, atteint au paroxysme de la puissance, et cela sans lourdeur et sans brutalité. Partout ailleurs, il réunit des qualités non moins précieuses : la plénitude avec l’équilibre, autant de liberté que de souplesse. Tantôt il agit par l’association des sonorités ; tantôt c’est par leur partage et par l’effet isolé d’un instrument à découvert. Loin de jamais blesser l’oreille, il sauve au contraire ce que pourrait avoir pour elle de trop dur l’aspérité des harmonies ou la brusquerie des modulations. Tout se fond en cet orchestre, sans que rien s’y confonde.

Le second principe de la symphonie, peut-être plus idéal, n’est autre chose que le développement d’une ou de plusieurs pensées musicales ; c’est l’art de connaître et de régler les rapports que les thèmes divers doivent soutenir entre eux pour s’opposer ou se réunir. Et de cet art encore, il semble que le musicien qu’est M. d’Indy sache tous les secrets. Mais au fond il n’en possède qu’un secret unique : le dernier, celui qu’a trouvé le maître de Bayreuth. La loi de l’Étranger comme de Fervaal est le leitmotiv. Personne en France n’applique le procédé wagnérien avec autant de fidélité que M. d’Indy. Mais, comme il en use avec moins de naturel et de liberté, moins d’abondance, d’ampleur, de génie enfin que Wagner, l’artifice et je dirai presque le mécanisme, la monotonie, l’étroitesse et déjà peut être un peu l’usure du système commence de paraître. Que le motif lent de l’Étranger, qui signifie l’a charité mélancolique du héros, n’ait qu’à prendre un ton plus vif, un rythme plus piquant pour exprimer la malveillance de la foule, c’est un de ces jeux, une de ces gentillesses où l’on finit par se demander si peut-être il n’y aurait pas moins d’adresse que de pauvreté. Et puis, et surtout, comme elle tarde, la conciliation depuis si longtemps promise entre l’orchestre et la