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trouvé dans la dernière scène de Fervaal même une magnifique expression. Alors elle fut lyrique, l’inspiration de M. d’Indy. Elle le fut longtemps et non seulement sans faiblir, mais en se fortifiant jusqu’au bout. Alors, malgré le sujet funèbre et le paysage glacé, le chant du héros portant en ses bras sa douce morte, et la symphonie escortant la montée douloureuse, et toute la musique enfin rayonnait d’émotion et de vie.

Nulle page de l’Étranger ne vaut celle-là. Quelques-unes, dans le Premier duo, surtout dans le second, la rappellent avec moins de grandeur esthétique et morale, par des traits épars de ce lyrisme que nous cherchons à définir. Dès le premier acte, des éclairs de beauté traversent les discours du héros sombre. Et cette beauté, c’est l’honneur de M. d’Indy de ne jamais la concevoir et la réaliser que sérieuse, haute et pure, infiniment supérieure au charme superficiel et à l’agrément passager. Certaines « ritournelles, » — excusez le mot, — où l’orchestre expose, reprend, transforme et surtout développe à l’aise, avec un trop rare loisir, le thème de l’Étranger, sont véritablement admirables. Elles le sont par le sentiment, où la mélancolie se môle à la bonté ; elles ne le sont pas moins par la forme : par l’harmonie, par les sonorités et par la mélodie ; oui, par la mélodie même, où se révèlent et se rencontrent souvent les plus nobles influences, depuis celle de Bach ou de Beethoven, jusqu’à celles de la chanson populaire et de l’art religieux.

Une fois, une seule fois peut-être, la beauté de cette musique dure plus d’un moment : c’est au second acte, lorsque l’Étranger donne à Vita qui l’interroge, non pas la définition, mais la notion, mystérieuse et mystique, de son être, « Je suis celui qui rêve ; je suis celui qui aime. » Tout fait émouvante et vraiment grandiose la confidence, même obscure, de ce destin de rêverie et d’amour. C’est ici le centre ou le sommet de l’œuvre ; c’en est le mouvement, le transport unique, mais irrésistible. L’invention, ou peut-être l’adaptation de la mélodie (qui semble d’église), ne pouvait être plus heureuse. Le thème fort et doux, en se développant, accroît sa force et ne perd rien de sa douceur. Les motifs secondaires qui l’accompagnent, le haussent et le grandissent encore ; toujours mêlés à lui, il les domine toujours. L’orchestre lui donne en même temps la puissance et la lumière. Enfin il n’y a pas jusqu’à la voix qui, dans certain passage : « J’ai longtemps navigué, et sur toutes les mers ! » n’achève ou ne couronne cette progression par un accent de pathétique et poignante humanité. « Action musicale, » « drame lyrique, » en ces pages seules peut-être,