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qui jadis apaisait l’Océan, maintenant le soulève. En vue de la côte, une barque est surprise par la tempête. Qui donc osera la secourir ? L’Etranger, revenu soudain, aura seul ce courage. Mais non, il ne l’aura pas seul, Vita, qu’il ne repousse plus, s’élance avec lui et l’Océan les engloutit ensemble, unis par l’amour et la mort.

Si le symbolisme de ce poème, j’entends l’idée morale qu’il exprime et qui le dépasse, peut écha()per d’abord, une chose du moins apparaît tout de suite : c’est que ce poème est symbolique. Ayant M. d’Indy pour auteur, il ne pouvait pas ne pas l’être. Et l’on ne songe point à s’en plaindre ; on aimerait seulement qu’il le fût d’une façon plus claire, plus originale aussi.

L’exégèse actuelle est assez partagée sur le sens « ésotérique » de l’aventure. D’aucuns, — nous citons à peu près et de mémoire, — ont cru découvrir en Vita la jeunesse en fleur échappant aux médiocres contingences quotidiennes, que synthétise la séduction charnelle du beau douanier, par l’aspiration vers l’au-delà, que l’Étranger symbolise. Mais selon d’autres interprètes, l’Étranger représenterait l’Artiste, Vita figurant la minorité intelligente qui, attirée vers le Beau, souffre des brutalités de la foule. Rien de tout cela n’est Impossible. Il se pourrait aussi, plus simplement, que l’Étranger fût un souvenir du Vaisseau fantôme, une variante moins claire et moins forte que le thème, sur le sujet wagnérien de la pitié.

Vita ne ressemble pas seulement par le nom à Senta, mais par le sentiment, par l’amour étrange, idéal, auquel elle sacrifie l’amour humain d’André le douanier, parent celui là, par la malechance et la médiocrité, du jeune chasseur Éric. Des rapports analogues se rencontrent jusque dans les dehors naturels ou pittoresques. L’Océan, sauvage et meurtrier, environne, domine l’un et l’autre drame, servant à tous deux de fond et de fin, de décor et de dénouement. Qui donc enfin ne reconnaîtrait dans l’Étranger un sombre fils du Hollandais volant ? Mais le fils a dégénéré de la grandeur et surtout de l’humanité du père. Il nous est moins intelligible et partant il nous intéresse et nous touche moins. Si légendaire que soit le personnage du Hollandais, la loi de son être nous est connue ; rien de lui ne nous échappe ou ne nous étonne : ni sa faute, ni son châtiment, ni son inquiétude et son espérance d’amour. Autrement obscur est le caractère de l’Étranger, et son destin. Cet homme qui veut le bien de tous, et qui le peut, — nous savons de quel prodigieux pouvoir, — d’où vient qu’il ne réussit pas à l’accomplir ? Pourquoi ses filets à lui seul toujours pleins, et vides ceux de ses compagnons ? Autour de lui, malgré