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dans son règlement protocolaire. Non seulement la religion « n’a rien à faire en principe avec la morale[1], » mais il est même permis d’identifier tout bonnement les deux adjectifs « moral » et « anti-religieux[2]. » Certes il y a place, malgré tout, dans cette doctrine tranchante pour des inspirations morales, mais il leur faut préalablement revêtir, à l’exemple de la foi germanique, un uniforme tout mystique. « La moralité est une intuition exclusivement intérieure, c’est-à-dire transcendantale ; de là l’absurdité de toute Ethique inductive et empirique[3]. » Cette conviction kantienne explique le dédain de notre auteur pour le Talmud, dont l’inspiration n’est que pratiquement « morale ; » son animosité contre l’Ethique rationaliste de Spinoza ; et ses réserves sur l’enseignement des Prophètes, parce que c’est la moralité qu’ils opposaient sans cesse au culte matériel, au lieu de détourner les âmes hautes des pratiques superstitieuses, par l’appel à l’intuition religieuse ou par le mythe poétique, à l’exemple des Aryens.


II

Tout cela est bien subtil, et parfois contradictoire, n’est-il pas vrai ? Pour employer un germanisme, qui exprime par un souvenir de la Mignon de Goethe, un mouvement embarrassé et difficile, nous dirons qu’on croirait contempler une véritable « danse des œufs » dans le domaine psychologique ! Pouvons-nous espérer un commencement de lumière de la définition que nous apportent les Assises du XIXe siècle sur la religion en général, avant de nous dévoiler de leur mieux les secrets de la future religion germanique ? La religion n’est pas, dit M. Chamberlain, une tradition du passé, une chronique, une suite de récits historiques, tels qu’Israël en a consigné quelques-uns dans sa Bible : pas davantage une vue d’avenir, une espérance de salut, l’attente d’un bonheur futur. Elle réside tout entière dans le présent ; c’est une inspiration actuelle, une conviction vivante et personnelle, que chacun doit créer de toutes pièces pour son propre usage : un phénomène effectif, un état immédiat du sentiment. Notre auteur est inépuisable en formules diverses pour

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