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ingénieuses que son disciple brode à profusion sur les thèmes favoris du virtuose de la spéculation mystique. Et, tout d’abord, l’aryanisme religieux est amené à prendre position dans la grande et antique querelle de la foi et des œuvres, des mystiques et des politiques, de la révolution et de l’évolution. L’homme doit-il se transformer radicalement ou plutôt s’améliorer insensiblement ? Chez M. Chamberlain, comme chez Schopenhauer, la disposition interne a décidé de l’interprétation philosophique du passé ; mystiques par tempérament, tous deux font de leurs Aryens de décidés mystiques ; la justification par la foi sera donc une conviction aryenne, la justification par les œuvres une opinion sémitique. Et ce point de repère se montrera même décisif quand il s’agira d’opposer par la race un saint Paul à un saint Jacques, un Origène à un Augustin ; Scot Erigène, Abélard, Occam, à Anselme de Canterbury, Thomas d’Aquin, Raymond Lulle ; Luther, enfin, à Loyola. Nous verrons bientôt la future religion germanique prendre en effet son point d’appui sur une transformation radicale, sur une révolution de l’être intime, dont les conséquences seront plus ou moins durables, mais dont le caractère catastrophique demeure nettement indiqué.

Observons que le mot de foi doit être pris dans une acception assez particulière pour être applicable à cette disposition mentale, car il s’agit ici d’une sorte de soumission extatique à une influence externe mystérieuse, et non point d’une adhésion raisonnée qui serait accordée de sang-froid à un corps de doctrines nettement délimité. Dans ce dernier sens, en effet, la foi, appuyée sur le rationalisme, et facilement exaltée jusqu’au fanatisme durable qu’apporte la conviction intellectuelle, paraît spécifiquement juive à M. Chamberlain. Il proclamera même, avec Gœthe, que la religion germanique de l’avenir n’aura pas besoin de foi chez ses adeptes ; bien plus, que « la foi et la religion s’excluent[1]. » Contradiction plus apparente que réelle pour quiconque a pénétré sa pensée, et compris ce que l’école mystique cherche et trouve sous le nom de foi dans ses exercices religieux favoris.

L’expression la plus adéquate dans le passé de cet état d’âme, c’est l’illumination de la « grâce. » Aussi la préoccupation de la grâce nous est-elle donnée pour l’un des signes caractéristiques

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