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créé tout d’un coup complet, à la vérité par miracle, c’est, à mon sens, contredire toutes les analogies, et dans les sciences positives on ne procède que par analogie. Le corps du premier homme se composait, j’imagine, comme le nôtre, de carbone, d’oxygène, d’azote, d’hydrogène, de phosphates, etc. Il faut bien admettre que les élémens se trouvaient dans le milieu ambiant, à moins de prétendre qu’ils ont été tout d’un coup surajoutés à la matière ou descendus d’en haut dans une cloche. Représentons-nous alors l’événement, tel qu’il a dû se passer. Il a donc fallu que tout d’un coup, comme par un coup de baguette magique, ces divers élémens se soient rapprochés, combinés, proportionnés, que les tissus, les organes se soient construits, disposés balancés, etc. Se figurer un monde comme le nôtre, ou analogue au nôtre, avec des plantes, des animaux et le reste de ce qu’il faut pour la nourriture de l’homme, avec des rivières, une atmosphère, un soleil et le reste, et croire que tout d’un coup une pareille transformation et production se soient opérées dans un pareil monde, cela est inouï. Dès qu’on a vu fumer une cornue, ou disséquer une articulation, la conception même en devient impossible. Il n’y a plus de lois dans la nature, s’il y a eu jamais un tel renversement des lois de la nature. — Ici, comme ailleurs, il y a eu des transitions, des préparations, des progrès ; là intervient l’explication de Lyell et de Darwin, fondée sur l’incommensurable longueur et la prodigieuse durée des périodes géologiques, sur les milliers de milliards de siècles, tels que l’étude de la croûte terrestre les constate aujourd’hui.

De même pour la persistance des espèces. Je crois que M. Guizot n’a consulté qu’un groupe d’avocats ; M. Flourens est un si pauvre homme, si peu considéré dans la science que les hommes spéciaux en font des gorges chaudes. Les naturalistes éminens considèrent aujourd’hui les classifications et les espèces, non comme des données primitives, mais comme des produits. J’indiquerai seulement sur cette question deux mémoires de M. Broca, un des fondateurs de la Société d’anthropologie : 1° Rapport à la Société de biologie sur les animaux ressuscitans, et partant sur la nature de la vie ; 2° Mémoires sur l’hybridité. Entre autres réfutations de la séparation radicale des espèces, il y a ce fait : un spéculateur d’Angoulême fabrique depuis plusieurs années des métis de lièvre et de lapin, trois quarts lièvre, un quart lapin, lesquels se reproduisent indéfiniment, quoique