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Paris tout le mois de juin et, cet été du moins, je ne pourrai avoir le plaisir d’aller vous voir et de te serrer la main. D’ailleurs, j’ai promis mon quatrième volume[1] et mes examens commencent le 1er juillet. Garderai-je cette place ? A la première recrudescence cléricale, au premier livre que j’écrirai, au premier changement de ministre, on pourra fort bien ne pas me renommer. Je me prépare.


A Monsieur Cornélis de Witt.


Paris, juillet 1864.

Mon cher Cornélis,

Je suis allé quatre ou cinq fois au Journal, sans rencontrer John Lemoinne. On dit qu’il n’y paraît pas trois fois par an. C’est à toi de lui écrire directement.

Je te proposerais bien de le remplacer. Mais j’entre dans mes examens, et j’y suis tenu assis de huit heures du matin à six heures du soir. — De plus ce serait traiter un sujet que j’ai déjà rebattu. Mon troisième volume est sur le même sujet que le tien.

J’ai lu ton livre[2], et plusieurs choses m’ont fait un vif plaisir, par exemple l’ironie grave avec laquelle tu décris d’Argenson. Pour le fond, tu sais nos différences ; ce n’est pas seulement au gouvernement libre que j’attribue l’amélioration des mœurs anglaises au XVIIIe siècle, c’est à tout un ensemble de causes, notamment au caractère national, et à la religion. De même en France, la dégradation des mœurs. Je pourrais m’appuyer à cet égard sur l’exemple de l’ancienne Rome ; ce n’est pas seulement la ruine de la liberté qui l’a gâtée ; c’est un ensemble de causes, en premier lieu la conquête et la destruction de la classe moyenne ; la ruine de la liberté et la corruption des mœurs sont deux effets d’une même cause, et non la cause l’une de l’autre.

On pourrait aussi te discuter sur Voltaire ; il a des méchancetés, des imprudences, des gamineries, toutes les violences et tous les excès du tempérament nerveux, c’est souvent un singe. Mais il n’a pas été bon seulement en paroles : vois ses établissemens à Ferney : c’est la conduite d’un grand seigneur anglais humanitaire qui fait du bien autour de lui et gratuitement. —

  1. Le dernier volume de la Littérature anglaise, les Contemporains.
  2. La Société française et la Société anglaise au XVIIIe siècle.