historien possède dans les livres un instrument très puissant, une sorte de photographie très fidèle, capable de suppléer presque toujours à la vue physique des objets.
Il y a un point sur lequel j’essaierai de vous contredire ; votre article des Débats parlait de la raideur des Anglais. Vous disiez, ce me semble, que chacun d’eux marche entouré d’une sorte de barrière qui le rend inaccessible à tous ses voisins. Eh bien, pour mon compte, j’ai trouvé en eux des gens aussi affables, aussi communicatifs que les Français. Je ne parle pas seulement des personnes à qui vous m’aviez adressé. La bonne éducation et l’envie de vous faire plaisir a pu les rendre aimables. Mais partout, en voiture, en bateau à vapeur, à la ville, à la campagne, les gens m’ont paru complaisans et accueillans ; j’ai demandé cinq cents renseignemens dans les rues, toujours les gens me les ont donnés, se sont dérangés pour me les donner ; j’entends des gens de toute condition, en habit ou en blouse, gentlemen ou pauvres diables, vingt fois, trente fois ils ont engagé la conversation avec moi, sur la pluie, le beau temps, l’empereur Napoléon, les orphéonistes et autres sujets ; il m’a semblé encore qu’ils causaient et riaient entre eux, inconnus avec inconnus, et de fort bon cœur. Je ne les trouve pas plus tristes que les Français ; ils sont certainement aussi civils. Au total, ils me semblent avoir des nerfs plus rudes que nous, plus difficiles à émouvoir, plus amateurs de gros plaisirs, de hourras et de joie physique. Mais la Merry England dont parlent les écrivains du XVIe siècle subsiste encore, et nous avons tort de croire que les affaires et le protestantisme l’ont submergée.
Je ne sais, mon cher ami, si je pourrai, comme je l’espérais, aller vous remercier au Val-Richer cette année. Je serai à Paris vers la fin de juillet, et ma mère doit faire à cette époque un voyage dans les Ardennes, pour lequel ma présence lui sera utile. Si vous avez du loisir, répondez-moi un mot, ne serait-ce que pour me dire comment vous passez cette heureuse année, et me donner des nouvelles de Cornélis et de tous les vôtres. Mon adresse est, pour cette semaine, à Manchester, 5, Beaufort Terrace, Cecil Street, chez M. Seillière ; mais si votre lettre arrivait plus tard, on aurait soin de me l’envoyer.
Offrez, je vous prie, mon respect et mes remerciemens à M. Guizot, et acceptez pour vous et pour Cornélis une cordiale poignée de main.