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qui va précisément chercher dans la chimère d’une religion germanique nouvelle la force dont ses frères de race ont besoin pour triompher parmi les candidats à l’empire du monde ?

Ce sont là de magnifiques louanges ! Mais les qualités gouvernementales de Rome sont gâtées, aux yeux de M. Chamberlain, par l’usage excessif qu’elle s’est avisée d’en vouloir faire. L’universalisme, — qu’il prenne la forme du catholicisme théorique, du monopole industriel, ou du socialisme international, — inquiète au même degré ce particulariste de la race. Or, la ville de Rome eut le destin singulier d’incarner deux fois cette idée ambitieuse en ses deux avatars successifs, le païen et le chrétien. L’Eglise romaine, héritière des Césars, ne met pas plus qu’eux de bornes à ses velléités conquérantes. Que la grande majorité des catholiques soient cependant d’excellens patriotes, c’est ce qui est évident, mais ils se montrent en cela aussi respectables qu’illogiques. Le thomisme[1] exprima jadis ces aspirations de l’Eglise dans le domaine de la science, en réclamant pour elle le Tout-savoir. Le jésuitisme les a traduites plus récemment et plus pratiquement par la milice puissante qui s’efforce d’assurer à Rome le Tout-pouvoir. Or, l’universalisme, malgré ses séductions et ses prestiges, demeure pour ses adeptes un péril, une cause certaine de faiblesse, que M, Chamberlain fait profession de ne pas accepter pour le germanisme. A l’en croire, c’aurait été là l’écueil du Saint Empire romain germanique, dont la monstrueuse bâtardise est exprimée dans son nom même et qui fit place hier seulement au plus logique édifice de l’« Empire allemand germanique. »

En effet, non sans s’avouer, à l’occasion, que la vieille idée romaine de la domination du monde, partagée à titre d’héritage commun entre la Papauté et l’Empire d’Occident, fournit aux Germains les linéamens de leur organisation sociale, la base solide de leur civilisation, notre auteur regrette pourtant, par une de ces contradictions qui lui sont familières, que Charlemagne ait accepté sa couronne de Rome et du Pape, plutôt que de la demander à Byzance, comme il y avait songé d’abord. En conséquence

  1. P. 863. Les Assises nous enseignent que saint Thomas d’Aquin fut d’origine germanique, mais que, trop séduit par la grande idée anti-germanique de l’universalisme, il aurait enfin dressé contre le germanisme intellectuel la machine de guerre qui est sa Somme théologique. De sorte que, dans la philosophie comme sur les champs de bataille, les Germains ont fourni des mercenaires aux ennemis de leur sang et continuent de le faire aujourd’hui.