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que créent nos facultés abstractives[1] M. Chamberlain accorde inconsciemment la même substantialité à ce qu’il regarde comme l’âme de la race, à savoir la « conception du monde, » qui, à l’exemple du champ magnétique mis au contact de la limaille de fer, oriente dans sa sphère d’action les individus amorphes, de manière à les disposer en ordonnances harmonieuses et en dessins ingénieux[2]. Il nous faut donc examiner d’abord la conception du monde dans les trois groupes ethniques sur lesquels se fonde le XIXe siècle civilisé : Juifs, Méditerranéens, Slavo-Celto-Germains ; avant de tracer les perspectives qui s’ouvrent pour l’avenir devant la seule intéressante parmi ces personnalités éthérées, devant l’âme germanique. La préoccupation, fondamentale de M. Chamberlain, c’est en effet d’élargir les voies, d’aplanir les sentiers à une religion enfin digne de ce nom, à une foi telle que le monde n’en possède pas encore. Les Juifs et les Méditerranéens vont être écartés, préalablement, de toute coopération à cette œuvre sainte ; les premiers pour leur rationalisme desséchant, les seconds pour leur fétichisme incorrigible. On nous montrera ensuite les Germains éminemment préparés à l’accomplir, et cela tout à la fois par l’héritage politique de leurs ancêtres Aryas, par la vertu des paroles désormais mieux interprétées d’un Christ dégagé de son entourage judaïque, enfin par le privilège des élaborations mystiques et philosophiques déjà réalisées au sein de la race privilégiée.


I

La vocation religieuse toute spéciale dont le peuple juif aurait été doué par les décrets de la Providence fut jadis l’objet d’une conviction bien arrêtée dans l’esprit des théologiens critiques. Aux yeux d’un Ewald ou d’un Renan, le Sémite passait pour l’être religieux par excellence, la constitution du monothéisme biblique pour un immense service rendu à l’humanité tout entière par le petit peuple palestinien. Nietzsche n’écrit-il pas encore[3] : « Nous autres hommes du Nord, nous tirons certainement notre origine de races barbares, même par rapport à notre don religieux :

  1. Voir son essai philosophique dans la Zeitschrift für Philosophie (Leipzig, 1868).
  2. P. 312.
  3. Par delà le Bien et le Mal. Édition Henry, p. 63.