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francs qu’importe chez nous la Grande-Bretagne. Les bénéfices dont nous nous sommes ainsi privés sont même beaucoup plus considérables, car il s’agit de matières lourdes et encombrantes ; M. le consul Périer rappelle qu’un homme très autorisé estimait à 3S0 millions les sommes que nous versons chaque année à nos voisins pour frets de marchandises. Pourtant, à l’instar de plusieurs autres nations, nous nous sommes déjà affranchis de l’intermédiaire britannique pour nombre d’articles, comme les cotons et les cafés ; mais nous lui achetions, en 1901, près de 87 millions de laines, soit 30 pour 100 de la réexportation britannique, pour 16 millions de jute, 18 millions d’autres textiles, 20 millions de cuirs et peaux, 6 millions et demi de caoutchouc, 4 millions de métaux, une trentaine de millions de matières diverses. Nous devrions nous approvisionner nous-mêmes d’une partie de ces matières ; mais il est douteux que nous pussions le faire de toutes, à cause de la difficulté de trouver un fret de retour pour les bâtimens qui nous les auraient apportées.

En défalquant du commerce franco-anglais toutes les marchandises qui ne font ainsi que passer par les ports ou les entrepôts britanniques, il s’élève encore, pour 1902, à plus d’un milliard et demi, dont 1 087 millions pour nos exportations et 432 millions pour nos importations. Qu’un trafic si considérable soit avantageux aux deux nations qui s’y livrent, et doive contribuer à leurs bons rapports, cela n’est peut-être pas évident a priori. Certes beaucoup de gens en vivent ; d’autres en peuvent souffrir. Un peuple peut être, pour un autre, non seulement un intermédiaire onéreux, mais un concurrent dangereux, jusque sur son propre marché. Loin d’améliorer les relations politiques, l’accroissement des relations commerciales les rend alors plus difficiles. Le commerce anglo-allemand a crû au moins aussi vite que le commerce anglo-français et les sentimens des deux pays à l’égard l’un de l’autre sont loin d’être devenus plus amicaux. L’invasion des produits allemands, made in Germany, selon la formule que la douane britannique fait apposer sur les marchandises importées, irrite et inquiète les Anglais. On se souvient que cette formule servit de titre il y a quelques années à une brochure retentissante, dont le cri d’alarme se répéta dans les journaux d’outre-Manche en polémiques passionnées[1].

  1. Voyez, dans la Revue du 15 septembre 1896, l’intéressant article de M. Arvède Barine.