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ou la moitié, en prélevant à nos dépens un gros bénéfice. Pareille évaluation est fort exagérée. Sur 13 milliards 350 millions de francs qu’a importés l’Angleterre en 1902, elle n’en a réexporté que 1 661 millions, c’est-à-dire un huitième. Pour les marchandises françaises en particulier, M. J. Périer évalue à 90 millions la valeur de celles qui ne font que passer dans les ports anglais pour y être transbordées et à 100 millions au plus celles que la Grande-Bretagne nous achète pour les revendre à d’autres, en qualité de « grand commissionnaire mondial[1]. »

Même réduit ainsi à sa juste valeur, on peut regretter que nous laissions échapper tant de fret à notre marine marchande. Plus puissante, mieux organisée, régie par des lois plus sages, elle pourrait en recouvrer une grande partie, et ce serait pour nous un sérieux profit matériel et moral. Mais à qui la faute, après tout, s’il ne nous revient pas ? Et si nous ne pouvons assurer nous-mêmes le transport de nos produits, ne devons-nous pas nous féliciter de trouver à nos portes d’avisés commissionnaire qui s’en chargent à notre place ? Au demeurant, il serait chimérique de penser que nous pussions jamais nous passer entièrement d’intermédiaires. La plus grande partie de nos exportations se compose d’articles relativement chers, légers et de peu de volume, dont il faut une valeur énorme pour compléter le chargement d’un gros cargo-boat moderne. Si nous voulions les expédier nous-mêmes à bien des pays médiocrement riches ou peuplés, qui ne nous les prennent que par petites quantités à la fois, nous serions obligés d’y envoyer des bateaux à moitié vides ou très petits, ce qui augmenterait fort les frais de transport et par suite le prix de vente, et réduirait les débouchés. Loin de nous être nuisible, un intermédiaire nous est ici très utile.

Ces réflexions s’appliquent non seulement aux marchandises que nous vendons, mais à celles que nous achetons par l’entremise des Anglais et qui forment plus du quart des 582 millions de

  1. A titre d’exemple, le Royaume-Uni a importé, en 1902, pour 125 millions et demi de francs de vin, dont 64 millions et demi venant de France, et n’en a réexporté que pour 13 millions et demi ; pour les vins mousseux en particulier, qui viennent de France dans la proportion de 97 pour 100, l’importation totale a été de 48 millions et demi, la réexportation de 5 millions et demi seulement. Pour l’eau-de-vie de vin (brandy), qui vient encore plus exclusivement de France que les vins mousseux, l’importation est de 27 millions, la réexportation de moins d’un million. Enfin il a été importé en Angleterre 338 millions de soieries, dont deux tiers au moins de fabrication française, et il n’en a été réexporté que 27 millions.