Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/795

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

viennent en aide à la mère patrie « chancelant sous le poids de ses destinées, » comme l’a dit M. Chamberlain ? Les ambitions coloniales de la Grande-Bretagne paraissent se borner aujourd’hui à maintenir sa prééminence sur les avenues maritimes de l’Inde, la côte d’Arabie et le golfe Persique. Ici encore, ce n’est pas la France, c’est bien plutôt l’Allemagne, avec ses visées sur la Turquie d’Asie, avec son désir d’étendre ses colonies, qu’elle trouverait devant elle.

Ainsi le grand danger pour l’Angleterre ne vient plus aujourd’hui de la France, ni, pour la France, de l’Angleterre. Après l’avoir longtemps méconnu, on l’aperçoit outre-Manche, et les sentimens actuels des Anglais paraissent bien exprimés dans la réponse qu’a faite le plus influent de leurs journaux hebdomadaires, le Spectator, au dernier et retentissant article de feu le professeur Mommsen, qui offrait au Royaume-Uni l’alliance de l’Empire allemand. « Nous tenons pour un fait irréfutable que les ambitions de l’Allemagne, telles qu’elles sont exprimées par sa caste dominante, sont les seules, parmi toutes les ambitions nationales du monde, qui soient en conflit direct avec les nôtres. Nous disons que l’Allemagne ne peut pas être notre alliée, car elle veut ce que nous ne serons jamais capables de lui donner ou de lui faire obtenir. » Ne comprend-on pas aussi en France que le seul péril grave que nous puissions courir nous vient du poids, sur nos frontières de l’est, d’une nation de soixante millions d’hommes, étouffant dans ses limites, ayant le culte de la guerre, et dont les esprits dirigeans se persuadent qu’ils ont un droit imprescriptible sur tout ce qui fit partie jadis du Saint-Empire Romain Germanique ?

Nous n’entendons certes pas prétendre qu’entre la France et l’Angleterre il ne subsiste aucun litige à régler. Il en est un grand nombre : les droits de nos pêcheurs sur le French Shore à Terre-Neuve ; la possession des Nouvelles-Hébrides ; une meilleure délimitation de nos territoires entre le Niger et le Tchad. Nous n’oublions pas qu’il pourrait naître aussi des difficultés des questions du Siam et du Maroc ; pour l’une, il paraît acquis, cependant, que, moyennant de faibles concessions, la Grande-Bretagne ne s’opposerait pas à nos vues ; et, pour l’autre, nous devons seulement veiller à maintenir les droits et les obligations qui résultent des traités. Ce que l’on peut dire, croyons-nous, c’est qu’après les changemens profonds survenus en Europe depuis