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Toutes deux désiraient s’attribuer la plus grande part possible des immenses territoires vacans en Afrique, en Indo-Chine, et le conflit de leurs ambitions était rendu plus aigu par les pénibles incidens qui naissaient parfois entre leurs missions ou leurs colonnes, et qu’exagéraient encore des correspondans ou des journalistes trop pleins de leur sujet. Mais, depuis l’accord de 1899, les possessions des deux pays sont délimitées en Afrique, comme leurs sphères d’action le sont en Indo-Chine depuis 1896. Une ère nouvelle s’ouvre où il ne reste plus guère de terres inappropriées auxquelles l’un et l’autre puissent prétendre : la dernière source sérieuse de difficultés a ainsi disparu.

On pourrait craindre, il est vrai, que, si la France trouve son domaine colonial assez vaste, l’Angleterre ne sache pas renoncer à l’habitude invétérée d’étendre toujours le sien et nourrisse le secret espoir de s’emparer un jour des colonies de la France en Afrique et en Indo-Chine, comme jadis dans l’Amérique et dans l’Inde. La presse britannique n’a pas craint de rappeler ces exemples du passé lors de certains accès de jingoism et de high talk en 1895 et 1898 ; mais un événement capital s’est produit depuis, qui, croyons-nous, a fort assagi les Anglais. La campagne du Transvaal leur a rappelé ce qu’est la guerre et surtout ce qu’elle coûte. Quand la bourgeoisie a vu l’impôt sur le revenu monter à 6 pour 100 ; quand le peuple a vu relever les droits sur le thé, sur le sucre, restaurer même un droit sur les grains ; quand toute la nation a pu se rendre compte que les frais d’une guerre ne finissent même pas avec elle, et qu’aux six milliards dépensés dans l’Afrique du Sud il en faudrait joindre plusieurs autres pour réfection d’armement, réformes militaires et navales, ces hommes pratiques, accoutumés à envisager le côté commercial et financier des choses, peu économes, du reste, en sorte qu’une aggravation d’impôts les oblige, non seulement à diminuer leur épargne, mais à réduire leur train de vie, se sont pris à réfléchir, et, quelle que fût leur opinion intime sur la guerre d’où ils venaient de sortir, se sont dit assurément qu’il ne conviendrait pas de s’engager à la légère dans une lutte plus grande encore. Les pauvres Boers auront peut-être été la rançon de la paix du monde. Il semble, d’ailleurs, que l’Angleterre se rende compte que son empire est déjà bien vaste, que c’est une lourde tâche de l’administrer et d’y maintenir l’ordre. N’est-ce pas un aveu que l’appel adressé aux grandes colonies pour qu’elles