Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/772

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

demande à être admis dans ta confidence. Sois franc sur ce point. Adieu, mon cher ami, merci de ta bonne et aimable lettre et de l’affection que tu m’y témoignes. Rien ne m’est plus doux que le souvenir de mes amis de collège, et le tien plus que tout autre. J’espère que tu me le conserveras toujours.


A Monsieur Cornélis de Witt.


Paris, 29 mai 1850.

Mon cher de Witt,

Je recommencerai bien volontiers notre commerce de lettres, mais à condition que tu auras le temps de me répondre, et que notre correspondance ne te gênera pas.

Commençons donc ; il n’y a, comme on dit, que le premier pas qui coûte. A vrai dire, il est assez difficile à faire : la raison en est que nous ne nous connaissons plus. A vingt ans, les idées changent, le caractère se forme, les préjugés s’en vont ou s’affermissent ; nous devenons hommes, enfin. Qui sait, mon pauvre ami, si nous avons gardé nos sympathies et nos ressemblances, et si, en nous rapprochant, nous ne nous choquerons pas ? J’ai tort, n’est-ce pas, de parler ainsi. Cela est vilain à moi de me défier d’un ami, et, en cherchant un rapprochement, de présager une rupture. Que veux-tu ? J’ai éprouvé beaucoup d’amitiés, et j’ai trouvé qu’avec l’âge, mes plus chers camarades devenaient souvent pour moi des étrangers. Pourtant, je suis presque sûr qu’il n’en sera pas ainsi entre nous. J’en ai pour preuve ta bonne et aimable lettre. Il faut que tu aies gardé un vrai souvenir de moi pour m’écrire ainsi, au moment où ton cœur, rempli par de nouvelles affections, semblerait n’avoir plus de place pour tes premiers amis.

Je ne trouve rien de mieux à faire que de parler de moi, afin qu’à ton tour tu me fasses ton portrait, et qu’ainsi, nous sachions tous deux à qui nous avons affaire. Je ne crois pas être beaucoup changé. Cela est naturel : l’École a continué la vie de collège. Je suis celui que tu as connu, multiplié deux fois par lui-même et ainsi élevé au cube. J’ai vécu cloîtré, ne sortant que pour voir ma famille et un ou deux amis, n’allant guère dans le monde, où je m’ennuie, passant mes grands jours de congé à la campagne, et mes soirées de liberté au théâtre. Je n’ai pris plaisir au commerce des autres et à la vie de société que