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Mais ici, marche en paix en ce lieu calme et tendre
Où les grands espaliers ont l’air, )e long du mur.
D’écarter leurs bras noirs comme pour te défendre.


L’HEURE HEUREUSE


L’Heure heureuse m’a dit : Chante-moi. Je suis morte.
Effeuille entre mes bras les roses que j’emporte,
Car, vivante, j’ai vu fleurir leur pourpre en feu.
Mes yeux se sont fermés sous la bouche d’un Dieu ;
L’amour a pris mon souffle et me laisse son ombre ;
Je la retrouverai sur le rivage sombre
Et j’aurai, pour payer son baiser souterrain.
Ces roses que tes doigts effeuillent sur mon sein.
Adieu, mais souviens-toi que brève, je fus bonne.
Mes sœurs sont là, dehors, qui t’attendent. L’automne
A couronné leurs fronts et doré leurs cheveux ;
Elles peuvent offrir à ton cœur orgueilleux,
Selon que la Sagesse ou la Gloire l’attire.
Leur silence savant ou leur noble sourire
Et la branche du chêne ou celle du laurier.
Mais souviens-toi encore avant de m’oublier
Que moi seule, — qui dors sous ces roses mortelles,
Ephémère, embaumée et divine comme elles, —
Je suis, dans ton passé comme moi sans retour,
L’Heure mystérieuse et vaine de l’Amour.


STANCES


Je ne veux plus de toi, Jeunesse. Tu viendrais
Encore avec ton bruit de feuilles et de source
Et nous irions encore à travers la forêt
Où l’écho se souvient du rire de ta course.

Comme jadis, quand nous passions près du bonheur,
Tu mettrais sur mes yeux tes mains douces et fortes
Et sans attendre, hélas ! le fruit mûr qu’on emporte,
Tu briserais la branche en y cueillant la fleur.