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introduisit dans sa théologie la notion du péché originel, qui est tout aryenne, et qui fait tache dans l’édifice de la « monolâtrie » sémitique, c’est que le peuple de Jéhovah comprit mal cette belle idée métaphysique et l’interpréta suivant les inspirations de sa conscience ethnique, toute bourrelée de remords. Dans le judaïsme, le péché originel serait le sentiment de cette monstruosité initiale, de ce crime contre la nature que fut l’alliance des Bédouins, des Hittites et des Amoritains. Et, en cet endroit, l’auteur de l’Essai sur l’inégalité des races est véritablement dépassé en prévention et en parti pris par un penseur qui se vante pourtant avec raison de l’avoir corrigé et perfectionné sur plus d’un point. Car il nous faudrait admettre que les Juifs ont eu la conscience de cette prétendue impureté initiale dans leur sang, qu’ils en ont voulu éviter la prolongation par leurs sévères règlemens contre les alliances étrangères, mais, comme lady Macbeth, sans pouvoir effacer jamais la tache rebelle, la tare imprimée dans la chair de leurs aïeux.

Le sacerdoce lévitique aurait donc professé deux mille ans avant le comte de Gobineau toutes les théories de ce penseur sur les effets délétères et indélébiles du mélange des races. Or écoutons l’homme qui vient de prononcer cette impitoyable sentence sur la matière première et sur les erreurs originelles du peuple de Dieu nous parler d’un des rameaux actuels de cette souche avariée. Il s’agit des Juifs espagnols, des Séphardim[1] : « C’est par l’aspect et par le commerce de ces hommes qu’on vient à comprendre l’action du Juif dans l’histoire du monde. Voilà de la noblesse dans le sens complet du mot, la pure noblesse de race. Belles têtes, tournures imposantes, dignité de la parole et du geste... honnêteté scrupuleuse... Quiconque veut apprendre de visu ce que c’est qu’une extraction noble doit faire appeler à Salonique ou à Sarajevo le plus pauvre des Séphardim, puis le comparer au baron X... ou T... Il constatera la distance qui sépare la noblesse conférée par la race de celle qu’octroient les monarques. »

Ces lignes ne forment-elles pas, à elles seules, la condamnation la plus nette du paradoxe anthropologique de M. Chamberlain. — C’est d’ailleurs par ces contradictions mêmes qu’il a rencontré des sympathies jusque dans le camp de ses adversaires.

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