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d’Etat, qui était en train de le réduire à la condition de fantoche. Sa mère et Mazarin l’avaient élevé en fille, de peur qu’il ne causât plus tard des ennuis à son aîné, et cette éducation n’avait que trop bien réussi. A force de l’envoyer jouer avec le futur abbé de Choisy, qui mettait une robe et des mouches pour le recevoir ; à force de lui faire habiller et coiffer les filles d’honneur de la reine, de l’habiller lui-même en jupes et de l’occuper de chiffons, on en avait fait un être ambigu, une espèce de fille manquée et n’ayant que les défauts de son sexe. Monsieur avait tous les jours un habit neuf et tremblait de s’abîmer le teint, de se décoiffer, ou d’être vu de profil s’il se croyait mieux de face. Paris n’avait pas de plus grande commère ; il bavardait, il tracassait, brouillait les gens en répétant tout, et cela l’amusait. Mademoiselle se faisait un devoir de lui « prêcher » les « grandes actions, » mais elle perdait son temps : il était la mollesse et la faiblesse même. Les deux cousins étaient mal assortis de toutes les façons. Lorsqu’ils entraient ensemble dans un salon, Monsieur, court et replet, paré comme une châsse, cousu de pierreries depuis la tête jusqu’aux pieds, Mademoiselle, un peu mousquetaire de taille et d’allure et négligée dans ses ajustemens, c’était un couple singulier. Ceux qui ne les connaissaient pas ouvraient de grands yeux, et il s’en rencontrait toujours, en hiver du moins, car la société était alors des plus mêlées, même chez les grands.

Depuis le jour des Rois jusqu’au mercredi des Cendres, les Parisiens n’avaient pas de plus grand plaisir que de se promener la nuit en masque et d’entrer, sans être invités, dans les maisons où se donnait une fête. Louis XIV se mettait volontiers de la partie ; un soir de mardi-gras, qu’il courait ainsi les rues avec Mademoiselle, ils rencontrèrent Monsieur « habillé en fille, avec des cheveux blonds[1]. » Les hôteliers envoyaient les étrangers profiter de l’aubaine ; un jeune Hollandais racontait qu’il était allé la même nuit ; « avec ceux de son hauberge, » à cinq grands bals, le premier chez Mme de Villeroy, le dernier chez la duchesse de Valentinois, et qu’il avait vu dans chaque « plus de deux cents masques[2]. » La foule n’admettait pas qu’on lui refusât l’entrée, nulle part et sous aucun prétexte. Le même Hollandais rapporte avec une pointe d’aigreur qu’un autre soir, il lui

  1. Mémoires de Mademoiselle.
  2. Journal... de deux jeunes Hollandais.