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cette éducation sommaire et s’en exprimait sévèrement. « Le roi, écrivait en 1652 l’ambassadeur de Venise[1], ne s’applique toute la journée qu’à apprendre le ballet... Les jeux, les danses et les comédies sont les uniques entretiens du roi, dans l’intention de le détourner entièrement des choses plus solides et plus importantes. » L’ambassadeur revint sur le même sujet à l’occasion d’un opéra italien où le roi[2] s’était exhibé en Apollon, entouré de belles personnes représentant les neuf Muses : « Certains blâmèrent la chose, mais ceux-là ne connaissent pas la politique du cardinal, qui tient le roi expressément appliqué à des exercices de passe-temps pour le détourner des solides et importantes, et, tandis que Sa Majesté est occupée à faire rouler des machines de bois sur la scène, le cardinal remue et fait rouler à son bon plaisir, sur le théâtre de France, toutes les machines d’Etat. »

Quelques rares observateurs, dont Mazarin, devinaient que cet adolescent, avec son air d’être perdu dans les niaiseries, réfléchissait en secret à son métier de roi et aux moyens de s’en rendre capable. La nature lui avait donné l’instinct du commandement, joint à un sentiment très vif des devoirs de son rang. Il dit dans ses Mémoires : « Dès l’enfance même, le seul nom de rois fainéans et de maires du palais me faisait peine quand on le prononçait en ma présence[3]. » Son précepteur, l’abbé de Péréfixe, avait encouragé ce sentiment, tout en laissant son élève, par une contradiction dont il n’était peut-être pas responsable, prendre le chemin de devenir un vrai roi fainéant. Péréfixe avait écrit pour le jeune prince une Histoire du roi Henri le Grand, où on lisait « que la royauté n’est pas un métier de fainéant, qu’elle consiste presque toute en l’action, qu’il faut qu’un roi fasse ses délices de son devoir, que son plaisir soit de régner, et qu’il sache que régner, c’est tenir lui-même le timon de son Etat. » Sa gloire y est intéressée. En effet, « qui ne sait pas qu’il n’y a point d’honneur à porter un titre dont on ne fait point les fonctions ? » Doctrine qui supprime les premiers ministres, et dont Louis XIV devait faire son profit.

Le hasard était venu au secours du précepteur. Le 19 juin 1651, l’ancienne gouvernante du roi, Mme de Lansac, le dérangea

  1. Le 24 décembre, Relations des ambassadeurs vénitiens.
  2. La lettre est du 21 avril 1654. Louis XIV avait alors quinze ans et demi.
  3. Mme de Motteville l’avait entendu exprimer la même idée. — Cf. ses Mémoires, V, 101, éd. Petitot.