Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/613

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On disait de la reine mère qu’elle n’avait plus pour cent écus d’influence, et elle-même en convenait. De plus, elle était grondée du matin au soir. L’âge avait rendu Mazarin insupportable. Il était sans gêne avec le roi, quelque chose de plus avec sa mère ; les courtisans haussaient les épaules en l’entendant parler à Anne d’Autriche « comme à une chambrière[1]. » La reine n’était pas insensible à ces rudesses ; elle avouait à sa fidèle Motteville « que le cardinal devenait de si mauvaise humeur et si avare, qu’elle ne savait pas comment à l’avenir on pourrait vivre avec lui ; » mais il ne semblait pas lui venir à l’esprit que l’on pourrait peut-être vivre sans le cardinal.

Est-ce à dire qu’Anne d’Autriche et Mazarin étaient mariés, ainsi que l’affirme[2] la Palatine, mère du régent ? A mesure qu’ils vieillissent, on est bien tenté de le croire, tant le spectacle offert par ces illustres personnages, lui si désagréable, elle si soumise, donne l’impression de deux destinées « unies ensemble, selon les propres expressions du cardinal[3], par des liens... qui ne pouvaient être rompus. » La question est de savoir si Mazarin pouvait se marier. D’après la tradition, il n’était pas prêtre. D’après les érudits, c’est un point sujet à discussion[4]. Aussi longtemps que l’on n’aura pas réussi à le fixer, le mariage d’Anne d’Autriche avec son ministre restera parmi les énigmes historiques, car tout ce qu’on en dira sera paroles en l’air.

La patience de Louis XIV ne s’explique que par toute son éducation, et par l’état d’esprit qui en avait été le fruit.


II

Son berceau avait été entouré d’un troupeau de serviteurs chargés de veiller sur ses moindres mouvemens. Sa mère l’adorait, et s’en occupait beaucoup pour une reine. Néanmoins, il

  1. Monglat.
  2. Lettres du 3 janvier 1717, du 27 septembre 1718 et du 2 juillet 1722. Madame ajoute dans cette dernière : « — On en connaît maintenant toutes les circonstances. »
  3. Lettre à la reine Anne d’Autriche (27 octobre 1651).
  4. Le 25 mars 1865, le Père Theiner, gardien des archives secrètes du Vatican, répondait à quelqu’un qui lui avait posé la question : « — Nos actes du 16 décembre 1641, où Jules Mazarin a été créé cardinal, ne disent pas s’il a été prêtre ou non. Comme il a été cependant admis à l’ordre des cardinaux-prêtres, il est hors de doute qu’il a été prêtre. » La lettre du Père Theiner a été publiée par M. Jules Loiseleur dans ses Problèmes historiques.