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voisins d’outre-Mékong, serait-il bien choisi pour montrer à l’Angleterre quels sont les périls réels qui menacent sa prépondérance.

Quant à nous, sachons parfois détacher nos regards de nos querelles intestines pour les porter vers cet Extrême-Orient où l’avenir fermente, sous le grand soleil, dans des deltas surpeuplés, et où grouillent, dans les rizières fécondes, des populations innombrables qui prennent, à la vie économique et politique du monde, une part chaque jour grandissante. La vie intense, la vie d’âpre et féconde énergie, à qui le génie des races européennes a donné l’essor, se répand sur toute la surface du globe ; l’activité et la civilisation, jadis concentrées dans la Méditerranée, puis répandues peu à peu autour de l’Atlantique et dans la mer des Indes, se transportent rapidement sur le Pacifique : l’axe du monde semble se déplacer. Et lorsque apparaîtront, dans l’avenir, les conséquences de cette extension et de ce déplacement, c’est alors que les Français apprécieront tout ce qu’ils doivent aux hommes qui leur ont donné un empire en Indo-Chine, qui ont mis notre pays à même de tenir sa place dans la vie de l’Extrême-Orient et d’avoir une fenêtre ouverte sur le Pacifique. Puissions-nous ne pas comprendre trop tard combien ils étaient prophétiques, ces mots que l’un des voyageurs qui ont le mieux compris l’Asie et deviné ses destinées, le prince Henri d’Orléans, plaçait à la fin de son beau livre Autour du Tonkin : « C’est en Asie que se décideront les destinées du monde ; en Asie se créeront, se grandiront ou se fortifieront les empires ; et celui qui saura faire écouter sa voix en Extrême-Orient pourra aussi parler bien haut en Europe. »


RENE PINON.