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l’importance essentielle de la domination du Mékong pour l’avenir de l’Indo-Chine française, expliquer du même coup d’où provenaient les erreurs du dernier traité et esquisser les grandes lignes de la politique que nous imposent, comme une nécessité, la géographie et les circonstances.

L’émotion que la convention du 7 octobre a provoquée, non seulement parmi ces spécialistes que l’on appelle, en y mettant parfois une nuance d’ironie, les « coloniaux, » mais dans la masse même du grand public, a prouvé que les leçons des dernières années n’avaient pas été perdues. La crise chinoise de 1900, l’entrée du Japon, par son alliance avec une puissance européenne, sur la scène de la grande politique, ont fait comprendre aux Français quelle heureuse fortune c’est aujourd’hui pour eux de posséder un empire dans cet Extrême-Orient où s’entre-croisent tant d’ambitions et où l’activité économique, chaque jour plus intense, exaspère les rivalités nationales. Les préventions d’autrefois disparaissent ; les funèbres légendes des temps de la conquête se dissipent : le fantôme sanglant du Tonkin des premières heures s’évanouit et, peu à peu, se précise l’attrayante figure d’une colonie riche, fertile, peuplée, commerçante et industrieuse. Nos possessions indo-chinoises, grâce à l’effort de concentration et d’unification des derniers gouverneurs généraux, parmi lesquels il serait injuste de ne pas nommer tout particulièrement M. Paul Doumer, forment aujourd’hui un empire, doué de tous les organes nécessaires à sa vie et à son développement ; il n’y a pas seulement un Tonkin, un Annam, une Cochinchine, un Cambodge, un Laos, diversement régis, unis à la métropole par des liens différens, vivant sous des statuts variés ; il y a un empire français de l’Indo-Chine, qui a son budget central, distinct des budgets particuliers de chaque colonie, qui a son armée fortement organisée, qui a ses ports, ses « points d’appui de la flotte » et, dans une certaine mesure, sa marine[1] qui, en un mot, est à même de jouer son rôle dans les événemens d’Extrême-Orient, d’y représenter la France et de tenir sa place sur les bords de cette Méditerranée chinoise, dont les côtes du continent et l’immense chapelet des

  1. M. de Lanessan avait organisé une escadre de 12 croiseurs affectée aux mers orientales avec, pour points d’appui, Diego-Suarez, le cap Saint-Jacques et Kouang-Tchéou-Ouan, mais cette organisation n’a pas survécu à l’éphémère durée d’un ministère.