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notre mission toute pacifique dans cette île grecque ne demande pas une telle hâte. D’ailleurs, si le port artificiel de Syra est parfaitement abrité, il n’est pas grand et il est encombré de navires, car il est le point central de la navigation dans l’Archipel. Pour que tous ces navires puissent trouver leurs places, il faut qu’ils se glissent les uns entre les autres et qu’ils se fixent d’une façon invariable avec leurs ancres jetées devant et leur arrière maintenu perpendiculairement au quai par de fortes amarres en fil d’acier. La manœuvre est délicate pour des cuirassés, surtout s’il y a du vent, et il est nécessaire d’y voir clair. En conséquence, le commandant règle la vitesse de façon à arriver à sa destination le lendemain au petit jour.

Au coucher du soleil, qui jette des semis de violettes sur les cimes nues de Mytilène et de Chio, nous glissons sur la Mer Egée dans le canal de Psara et nous nous dirigeons vers l’étroit passage qui s’ouvre entre Tinos et Mykonos, barrières qui cachent Syra, dans l’Est, aux regards de l’empire ottoman.

La nuit descend du ciel semé d’étoiles, paiement éclairée de tous les rayons ravis aux lointains soleils qu’elle a traversés. Des phares trouent l’horizon. Des terres grises, agrandies par la réfraction des ombres qu’elles projettent sur l’eau, dessinent dans l’atmosphère claire leurs contours indécis. Derrière nous, dans l’aube de plus en plus blanchissante, les fumées du Linois et de l’Épée nous apparaissent et, bientôt, devant nous, Syra dresse ses deux collines que de blanches maisons semblent couvrir de neige. A six heures et quart, nos trois navires pénètrent dans le port et vont prendre poste, à quelques mètres du quai, près d’une église qui élève au ciel sa coupole byzantine

Hermopolis, la nouvelle ville, commence à s’éveiller, les boutiques s’ouvrent, les rues se peuplent, une foule sympathique accourt sur le quai et nous salue. Des vendeurs de journaux courent et s’époumonent à crier les titres de leurs feuilles. L’un des journaux est écrit en français. Enfin, nous allons avoir des nouvelles, et sans doute des lettres, car tous les paquebots touchent à Syra !


Du mercredi 13 au lundi 18 novembre. — Syra.

Depuis bientôt huit jours nous voici dans le calme, dans une tranquillité d’esprit parfaite ; presque aucun point d’interrogation ne se dresse plus devant nous.