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reconstituer, et à quelles extrémités dangereuses il s’est finalement porté pour y réussir. Mais nous devons revenir un peu en arrière et rappeler des incidens déjà vieux de quinze jours.

Une échauffourée qui s’est produite, à Paris, à la Bourse du travail, a provoqué cette vive alerte : la question des bureaux de placement lui a servi de prétexte. Cette question, souvent traitée par les Chambres, sans avoir jamais été résolue, est restée un ferment d’agitation dans le monde ouvrier. L’organisation actuelle des bureaux de placement n’est pas la meilleure possible : elle n’offre ni les avantages de la libre concurrence, ni les garanties d’un monopole dont l’exercice serait sérieusement contrôlé. Il faut une autorisation pour ouvrir un bureau : à en juger par les résultats, il ne semble pas que cette autorisation ait toujours été donnée judicieusement, ni qu’on ait exercé sur les établissemens qui en sont issus une surveillance suffisante. Les ouvriers se plaignent d’être exploités, et tout le monde convient qu’ils le sont quelquefois. Où serait le remède ? On le trouverait sans doute dans la liberté des bureaux de placement ; mais ce n’est pas là qu’on le cherche. Les initiateurs du mouvement auquel nous venons d’assister ne demandent pas qu’on supprime le monopole, mais qu’on l’attribue à d’autres, et à qui ? aux syndicats. Remarquez que rien n’empêche les syndicats d’ouvrir des bureaux de placement ; mais ils craignent la concurrence et veulent commencer par la supprimer. Au fond de toute cette campagne, il y a le désir de renforcer l’autorité et d’élargir le champ d’action des syndicats en obligeant tous les ouvriers à s’y affilier. Le Sénat s’en est rendu compte lorsque, il y a quelques années, la Chambre lui a renvoyé une loi qu’elle venait de voter et qui donnait satisfaction aux projets que nous venons d’indiquer : il l’a repoussée à une grande majorité. La campagne radicale a continué. La Commission du travail de la Chambre a été saisie de propositions de loi qui avaient pour objet la suppression des bureaux actuels, et, bien qu’elle ait conclu dans ce sens, qu’elle ait nommé un rapporteur, que celui-ci ait déposé son rapport, elle ne se pressait évidemment pas d’aboutir. C’est alors que les syndicats réunis à la Bourse du travail ont décidé de passer à ce qu’ils ont appelé « l’action directe, » euphémisme qui signifie la descente dans la rue : une fois là, on se livre à tous les excès que la police veut bien tolérer. Celle-ci, heureusement, était prévenue du danger et avait pris des mesures pour le conjurer. Grâce à la vigilance, à l’activité, à la fermeté de M. Lépine, s’il y a eu des incidens regrettables, il n’y a du moins pas eu de meurtres, et, certes, on pouvait