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bien épouser un futur professeur au Conservatoire et c’est l’assurance et une parfaite honorabilité bourgeoise.

Ce doux vaudeville est joué avec quelque lenteur par la troupe de l’Odéon, où il convient de citer M. Albert Lambert, excellent dans le rôle semi-burlesque de M. Duval, le médecin des eaux, et Mlle Sylvie, qui, dans un rôle d’ingénue, s’est fait beaucoup remarquer par des qualités de finesse, de justesse, et promet d’être une comédienne très distinguée.


Mme Sarah Bernhardt a eu la fantaisie assez curieuse de monter une pièce allemande, Jeanne Vedekind, qui nous rejette en plein drame bourgeois à la manière du XVIIIe siècle et comédie larmoyante dans le goût de Nivelle de la Chaussée. Le caissier de la maison Vedekind, un certain Bulau, a été condamné pour détournement de fonds. Il a fait trois années de prison. Or, pendant tout le temps de sa détention, Bulau n’a cessé de protester de son innocence. Et nous ne doutons pas qu’il ne soit en effet innocent. Et nous avons même tout de suite deviné le nom du coupable, qui n’est autre que le plus jeune des fils de Mme Vedekind : Otto. Elle aussi, Mme Vedekind, sait qu’Otto est le vrai coupable. Elle en fait la confidence au vieux Bulau, mais en le suppliant de ne pas réclamer la révision de son procès, de ne pas dénoncer Otto, de ne pas jeter le déshonneur sur la famille de ses patrons. Bulau a une belle révolte : il veut à tout prix poursuivre sa réhabilitation : il ne demande que la justice, mais il réclame toute la justice. Toutefois la découverte de la vérité aurait pour effet de ruiner le bonheur de la fille de Bulau, qui doit épouser l’aîné des fils Vedekind. Donc Bulau accepte de se sacrifier. On écoute avec gravité ces discussions animées d’un très noble souci des choses de la conscience.

Le personnage de Mme Vedekind a été pour Mme Sarah Bernhardt l’occasion d’une création fort intéressante : elle y a été très belle d’émotion contenue et de douleur simple.


RENE DOUMIC.