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nous imposent. Et, encore une fois, je le veux bien ! mais à une condition, qui est que vous n’usiez plus de ce mot de « religion ; » et qu’aux « religions d’autorité » vous opposiez loyalement, comme le philosophe Guyau, « l’irréligion de l’avenir, » dans un livre dont je regrette, pour lui, que le contenu ne soit pas toujours aussi clair que le titre.


III

Mais alors, dira-t-on, ce n’est qu’une « querelle de mots ! » Non ! ce n’est pas une « querelle de mots ; » et d’abord parce qu’en de semblables matières, où les mots expriment toujours des idées, il n’y a pas de « querelles de mots. » Les définitions de choses ne sont jamais des « querelles de mots. » Si toutes les religions que l’on connaisse dans l’histoire sont marquées de certains caractères, on ne peut pas donner le nom de religion à un ensemble de croyances, quel qu’il soit, où l’on ne retrouve pas ces mêmes caractères. A des choses vraiment nouvelles il faut donner des noms nouveaux, et je consens, si cela peut faire plaisir à ses admirateurs, que la « religion de l’esprit » d’Auguste Sabatier soit une chose nouvelle. Donnons-lui donc alors un nom nouveau. Et, en attendant qu’on le trouve, ou pendant qu’on le cherche, demandons-nous les raisons de cette persistance dans l’équivoque et la confusion.

Je ne veux ni croire, ni même supposer un instant qu’il y en ait de secrètes ou de politiques, et que, par exemple, on ait fait le calcul de ménager adroitement, sous le nom de religion de l’esprit, la transition de la croyance à la libre pensée. Cousin jadis l’a fait, dont le spiritualisme n’a même guère consisté qu’en cette équivoque ; et il s’en est fallu de bien peu qu’il ne réussît. La tactique de Sainte-Beuve, à cet égard, n’a pas sensiblement différé de celle de Cousin, si ce n’est en ce point, qu’il s’est plus complaisamment « prêté, » selon son mot, et sous couleur de les mieux connaître, aux doctrines dont il a fini, dans ses dernières années, par se déclarer ouvertement l’adversaire. Et, telle n’a pas été, sans doute, à ses débuts, dans ses Études d’histoire religieuse ou dans ses Essais de Morale et de Critique, l’intention d’Ernest Renan, mais elle l’est devenue par la suite, et son Marc-Aurèle, à lui seul, suffirait pour le prouver. Mais Auguste Sabatier n’était point un libre penseur, puisqu’il est mort « doyen d’une faculté