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même inspiration qu’on retrouve, c’est la même thèse, et surtout c’est la même fâcheuse équivoque.

Cette équivoque, on la retrouverait dans l’œuvre entière de Renan, dans ses Etudes d’histoire religieuse, dans sa Vie de Jésus, dans ses Origines du christianisme. Si l’on en cherchait l’origine, on découvrirait que l’introducteur dans la philosophie religieuse n’en est autre que Schleiermacher. Il s’en est fallu de bien peu qu’elle n’emportât un éclatant triomphe, voilà dix ans passés, au Congrès de Chicago. Beaucoup de pasteurs, et même quelques prêtres, s’en servent aujourd’hui comme d’un voile pour se dissimuler à eux-mêmes l’indécision ou le flottement de leur pensée. C’est dans ces conditions et pour toutes ces raisons qu’on a pensé qu’à l’occasion des Religions d’autorité, il ne serait pas inutile, sinon de dissiper l’équivoque, mais en tout cas de la dénoncer ; — et, sans examiner aujourd’hui le fond de la doctrine, c’est tout ce qu’on a voulu faire dans les pages qui suivent.


I

L’opération par laquelle on l’obtient est très simple, et non moins ingénieuse que simple. Vous prenez, l’une après l’autre, toutes les « religions, » — au pluriel ; vous les videz de leur contenu positif ; et le néant qui vous reste, vous le baptisez, si j’ose ainsi dire, du nom de « religion, » — au singulier. Il apparaît alors que, « les religions » étant une chose, « la religion » en est le contraire, ou réciproquement, et le progrès de la seconde n’est que la conséquence de la destruction des premières. Précisons par un exemple, et ne l’empruntons pas au christianisme : l’opération le concerne, comme les autres religions, mais la méthode le dépasse. Du bouddhisme ou du mahométisme, nous commençons donc par retrancher Mahomet ou Çakya-Mouni : Mahomet, qui n’était après tout, comme le dit Voltaire, que « de chameaux un grossier conducteur, » et Çakya-Mouni, qui n’est peut-être qu’un « mythe solaire. » Nous démontrons alors que le Lalita Vistara, je suppose, ou le Coran, ne sont que des livres « comme les autres, » comme le Pantchatantra, par exemple, ou comme les Mille et une Nuits. Après quoi, si nous libérons le mahométisme et le bouddhisme de toutes les contraintes dogmatiques ou rituelles qu’ils ont héritées de la tradition, et qui en ont maintenu l’intégrité ou l’identité de fond à travers les âges,