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la nature elle-même, par sa position géographique, et par la volonté énergique et ferme du peuple suisse de garder cette neutralité coûte que coûte, envers et contre tous. Volonté tellement évidente que si, même aujourd’hui, les grandes puissances garantes de la neutralité suisse se mettaient d’accord pour abolir la stipulation du congrès de Vienne à l’égard de la Suisse, celle-ci pourrait, malgré elles et malgré tout, conserver encore sa position privilégiée. La neutralité de la Suisse dépend en premier lieu de la Suisse même, et non des caprices ou de la bienveillance des grandes puissances. Elle pourrait à tout moment déclarer urbi et orbi qu’elle est résolument décidée à continuer de garder dans l’avenir sa neutralité perpétuelle, qu’elle ne désire nullement se mêler des affaires intérieures ou internationales des autres nations, et qu’elle défendra de toutes ses forces son indépendance nationale et l’inviolabilité de son territoire.

A cet égard, la garantie donnée à la neutralité perpétuelle de la Suisse ne nous semble pas un si grand bienfait qu’il faille chercher à l’obtenir par tous les moyens. La garantie tacite imposée par les circonstances et exigée par l’intérêt d’une puissance quelconque vaut presque autant à cet effet que la stipulation formelle d’une convention internationale. Le peuple suisse est le meilleur garant de sa neutralité perpétuelle. Le jeu des intérêts politiques pourrait, à un moment donné, aider à faire respecter une neutralité perpétuelle dont le maintien est devenu une maxime du droit et de la morale internationale. Le respect de la neutralité perpétuelle de la Suisse est tellement entré dans la conscience des nations civilisées de l’Europe que sa violation provoquerait inévitablement un ouragan d’indignation. Tel ne serait assurément pas le cas, si l’État attaqué n’était pas neutralise perpétuellement, mais seulement déclaré neutre ad hoc.

Les mêmes considérations, sauf quelques modifications, s’appliquent aussi à la Belgique, neutralisée en 1831.

« La Belgique, dit le traité de 1831, dans les limites indiquées, formera un État indépendant et perpétuellement neutre. Elle sera tenue d’observer cette même neutralité envers tous les autres États. » Cette neutralité permanente fut garantie d’un commun accord par les cinq puissances, qui crurent nécessaire, en intervenant dans la révolution belge, de signer à l’acte de naissance du royaume de Belgique. Depuis ce moment, la Belgique a consciencieusement maintenu sa neutralité et évité