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tenir en dehors des guerres qui divisaient le continent européen, quoique sa position au cœur de l’Europe dût provoquer, à plusieurs reprises, la violation de sa neutralité. Quand Napoléon imposa, en 1803, un traité d’alliance à la Suisse, il contracta en même temps l’obligation, au nom de la République française, « d’employer constamment ses bons offices pour lui procurer sa neutralité, et pour lui assurer la jouissance de ses droits envers les autres puissances. » En vertu de cette alliance, la Suisse fut obligée de prêter secours et assistance à la France, et sa neutralité en devint assez précaire. Cependant, durant toutes les guerres de Napoléon, la Suisse ne manqua jamais d’insister sur sa résolution formelle de ne pas intervenir activement dans les opérations militaires.

Depuis 1815, la neutralité de la Suisse est respectée et garantie par les grandes puissances qui ont signé l’Acte général du congrès de Vienne. Jamais une violation sérieuse ne l’a troublée, quoique maintes fois la petite Suisse ait provoqué la colère de ses puissans voisins. Pendant la guerre de 1870-71 entre la France et l’Allemagne, l’armée de Bourbaki mit bas les armes immédiatement après avoir passé la frontière suisse ; mais les armées allemandes n’osèrent pas pénétrer sur le territoire helvétique près de Bâle, afin d’opérer plus facilement contre Belfort et contre l’armée de Bourbaki.

Maintenant, se demandera-t-on : Comment expliquer ces résultats, assurément heureux, de la neutralisation de la Suisse ? Pourrait-on soutenir que ce petit pays soit en état d’imposer aux grandes puissances voisines le respect de sa neutralité et de son inviolabilité ? Si non, à quoi tient ce respect pour la situation privilégiée et inviolable d’une petite nation montagnarde qui n’est pas en état de défendre par ses propres forces sa vie et sa place au milieu de l’Europe ?

Toutes ces questions sont rarement posées, quoique leur examen impartial permît de découvrir la raison d’être des États neutralisés. Il est évident que la tendance historique de la Suisse vers une neutralité perpétuelle n’est point un don des grandes puissances assemblées au congrès de Vienne. En d’autres termes, la Suisse est neutre, parce que sa position géographique et les tendances nationales de ses habitans exigent d’elle qu’elle se tienne loin des querelles de ses voisins. Si sa neutralité a été respectée jusqu’ici très fidèlement, c’est qu’elle est imposée par