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En quoi devrait consister la neutralisation du Danemark ? Quelles en seraient dans la pratique les conséquences internationales ? Et si ce projet était exécuté, quelle en serait la portée internationale pour le développement des relations entre les nations civilisées dans la voie de la paix et du progrès ?

Tels sont les points principaux sur lesquels nous voudrions fixer pour quelques momens la bienveillante attention de nos lecteurs[1].


I

La neutralisation garantit à un État une situation privilégiée et exceptionnelle : pendant les guerres entre d’autres États, il reste perpétuellement en paix et ne prend aux hostilités aucune part, directe ou indirecte. L’État neutralisé renonce à toute idée de conquête, à toute ambition politique : il veut vivre en paix avec tout le monde et se vouer entièrement au progrès moral et économique de ses citoyens. La grande politique internationale n’existe pas pour lui, et sa mission historique consiste, par exemple, dans la propagande de la paix et du progrès pacifique et normal. Cette conception de la neutralité perpétuelle est fondée sur l’expérience et conforme aux aspirations les plus nobles des nations modernes.

Cependant il serait puéril de nier que beaucoup d’hommes d’État ne partagent nullement cette opinion. Les uns haussent les épaules avec dédain quand on leur parle de la neutralisation d’un État comme contenant pour son intégrité et son indépendance une garantie morale et juridique. La neutralité perpétuelle, disent-ils non sans quelque ironie, c’est la nullité permanente ! Les autres affirment que la neutralisation d’un État est absolument inutile, parce qu’en cas de guerre chaque État a le droit incontestable de se déclarer neutre et de ne pas prendre la moindre part aux hostilités entre États belligérans. Pourquoi donc déclarer d’avance et pour toujours sa résolution de rester neutre ? Pourquoi paralyser pour toujours ses efforts, renoncer

  1. L’auteur de cet article a eu l’occasion, au printemps de 1889, de soulever dans les très hautes sphères gouvernementales de Russie la question de la neutralisation du Danemark. Le mémoire qu’il rédigea sur cette question fut honoré de la plus sincère et de la plus flatteuse sympathie. Sauf les développemens et modifications nécessaires, il est resté la base de la présente étude.