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simple et plus sot, ils ne tiennent qu’à pousser à bout le jeu du point d’honneur et de l’air crâne. — A propos de grandes affaires, je crois que celle de Buloz est faite et qu’il est nommé commissaire royal du Théâtre-Français : du moins hier c’était arrangé, et si cela tient aujourd’hui, le voilà dans une nouvelle voie et occupé à régénérer le théâtre comme il a fait la Revue, il y a sept ans. Musset deviendra un auteur dramatique, et nous pourrons finir tous par hasarder notre bout de tragédie. Quant à la Revue, rien n’y changera d’abord en apparence : elle n’a pas du tout l’air expirante, je vous assure ; mais c’est d’ici à six mois qu’on verra l’effet. Quant à la prendre, noble dame, j’admire la vaillance ; mais oubliez-vous ma faiblesse à moi, oubliez-vous ce flot de littérature de Paris aussitôt conjuré et vomissant tous les phoques et requins ; oubliez-vous enfin les 100 ou 200 000 fr. qu’il faudrait tout d’abord pour l’acheter ? — Car on ne fait rien ici sans être propriétaire.

« Je n’ai toujours rien par la diligence : aurait-ce été perdu ? Vous ne m’avez pas dit si, pour l’envoi dernier, je puis payer à Risler pour M. Ducloux ; dans ce cas il voudrait bien faire dire à Risler combien j’ai à remettre.

« On est toujours absent de Paris, bien qu’on aille commencer à y revenir. Ampère est en Italie. Je vois assez souvent Mme Récamier et M. De Chateaubriand à qui je fis mardi une longue notice sur Fontanes. Mme Valmore, après un désastreux voyage de Milan, où le directeur de théâtre les a dupés, s’en revient avec toute sa pauvre couvée, une aile blessée, et chantant toujours. On va avoir dans trois semaines une pièce de Hugo sur l’Espagne du temps de Charles II, je crois : on dit l’intérêt très très grand, les vers beaux et l’on compte sur un succès ; cela renouerait à Hernani.

« J’imprime au rebours P. -R. (Port-Royal), c’est-à-dire que me voilà arrêté à la 6e ou 7e feuille, et pour je ne sais combien de temps ! Enfin, si je vis, je terminerai, mais j’ai repris par nécessité mon horizon de vingt-quatre heures ou pour mieux dire de douze heures que j’ai soin encore de couper en deux dans mon idée. Quand les nuages se pressent un peu trop, je ferme les yeux en marchant et je crie comme chez vous : A la garde[1] ! Ce qui m’est bien certain au milieu de cela, chers

  1. Expression de la Suisse française, sous-entendu « à la garde de Dieu ! »