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Ce principe, avec beaucoup de précautions dont quelques-unes appellent des réserves, nous le retrouvons dans le projet de loi que M. Chaumié, ministre de l’Instruction publique, a déposé il y a quelque temps déjà. M. Chaumié reconnaît à tous les citoyens sans exceptions le droit d’enseigner, sous certaines conditions qui ont pour but, tantôt d’organiser une surveillance et un contrôle sérieux de la part de l’État, et tantôt de s’assurer de la capacité et de la moralité du professeur. Sur le premier point, rien à dire : la surveillance et le contrôle de l’État existaient déjà dans la loi Falloux, et, s’il ne les a pas exercés, il ne peut s’en prendre qu’à lui-même. Sur le second point, nous repoussons le certificat d’aptitude pédagogique exigé des maîtres, parce qu’il ouvre la porte à l’arbitraire. Quand on fait passer un examen à un futur professeur ou instituteur pour s’assurer qu’il sait la géographie, l’histoire, les mathématiques, le latin et le grec qu’il se propose d’enseigner, la matérialité du fait à établir garantit dans une large mesure l’impartialité de l’examinateur. Mais l’aptitude pédagogique est quelque chose de beaucoup moins précis que l’instruction elle-même, et l’examinateur appelé à en juger se détermine d’après une impression personnelle plus que par une constatation positive. Au surplus, nous ne discutons pas en ce moment le projet de M. Chaumié : nous demandons s’il sera maintenu et défendu énergiquement par le gouvernement qui l’a présenté. Malgré ses imperfections, et bien qu’il en gêne parfois gravement l’exercice, il laisse subsister la liberté : aussi les partisans du monopole l’ont-ils attaqué dès le premier jour avec une véritable fureur. M. Chaumié a été accusé de trahison, ou de quelque chose d’approchant, et les plus chauds amis de M. Combes le jettent chaque matin aux gémonies. Il leur faut le monopole. Avec lui, ils se chargent d’amener la France tout entière à penser à l’unisson : ils réussiront là où Louis XIV, la Convention et Napoléon ont échoué. Mais sans lui, ils conviennent de leur impuissance : l’esprit français, déplorablement indépendant, leur échappera par quelque fissure. Ils ont fait une observation très judicieuse, à savoir qu’il ne suffit pas de ne pas porter une soutane ou une robe de moine pour n’être pas de leur avis. On rencontre de par le monde des laïques qui conçoivent tout autrement qu’eux l’histoire, la philosophie, la religion. Si on leur permet d’enseigner, tout sera perdu : il y aura encore dans cinquante ans des Français qui ne penseront pas comme les autres, et M. Béraud aura manqué son grand projet, qui est de les faire tous à ses propres image et ressemblance. Tous ces réformateurs ne visent à rien de moins, en effet, qu’à réformer l’œuvre de la création, où, par une négligence dont ils le