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l’exercice à qui il voudra. S’il juge à propos, en dehors de l’Université officielle, d’autoriser d’autres établissemens qui maintiendraient un simulacre, une figuration de concurrence, il pourra le faire par décret, après avoir entendu le Conseil supérieur de l’Instruction publique ; dans le cas contraire, il s’en abstiendra. Nous voilà aux antipodes de la liberté ! Une liberté octroyée par décision administrative ou politique n’est évidemment autre chose qu’une participation au privilège. MM. Béraud et Thézard le savent bien et ne s’en soucient guère ; ou, pour mieux dire, c’est ce qu’ils veulent, et ils ont derrière eux la fraction la plus ardente, la plus remuante, la plus exigeante et la plus impérieuse du parti radical socialiste. La lutte qui s’engagera à ce sujet sera soutenue avec une âpreté et une violence extrêmes. Il ne s’agira plus de savoir si on continuera de ménager pour quelque temps encore deux ou trois congrégations enseignantes, mais de savoir si on reconnaîtra aux laïques eux-mêmes le droit d’enseigner. On voit que nous sommes en progrès. A chaque détour de la route, le parti qui est devenu le maître de nos destinées, et dont le gouvernement s’est fait l’instrument de plus en plus docile, indique un nouveau but à poursuivre et s’y précipite : et ce but est toujours la suppression de quelque liberté. Ce sera peut-être demain le tour de la liberté de la presse. Si on veut, en effet, faire l’unité de la France en obligeant tous les Français à penser de même, aujourd’hui comme M. Combes, demain comme M. Jaurès, après-demain comme M. Jules Guesde, la liberté de la presse est un obstacle bien plus efficace à la réalisation de ce grand et beau dessein que celle de l’enseignement. Le jeune homme, quoi qu’on en dise, s’affranchit beaucoup plus vite de ce qu’il y a eu de dogmatique dans l’éducation de son enfance que ne le fait l’homme lui-même de l’influence quotidienne de son journal. Combien d’hommes restent enfans sous ce rapport !

Pour peu qu’on se rende compte de l’importance exceptionnelle de la question qui s’agite partout en ce moment, le silence que M. le président du Conseil a gardé sur elle en paraîtra plus surprenant. Il faudra pourtant bien qu’il prenne attitude et qu’il se décide à être pour la liberté avec M. Clemenceau, ou pour le monopole avec M. Thézard. Si nous nous reportons à un passé encore très rapproché de nous, nous devons croire qu’il est avec le premier ; mais la promesse qu’il a faite l’autre jour à la Chambre de supprimer la loi Falloux nous fait craindre qu’il n’incline et ne finisse par tomber du côté du second. De la loi Falloux, avons-nous dit, il ne reste que le principe de la liberté.