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tive, nous allions dire congénitale, des congrégations en général, au point qu’il ne fait aucune différence entre elles. S’il était le maître, dans quinze jours il n’y aurait plus un seul congréganiste en France ; mais, le lendemain, il dirait avec mansuétude : Maintenant tout le monde peut professer ce qu’il voudra et comme il voudra. — Quoi ! même les anciens congréganistes devenus laïques ? — Parfaitement ; M. Clemenceau ne recule pas devant cette conséquence de son système, jugeant contradictoire d’obliger les gens à se défroquer pour rentrer dans le droit commun, et de les mettre ensuite en dehors de ce même droit commun. Son opinion a d’autant plus d’intérêt à nos yeux qu’il appartient au parti le plus avancé, et surtout le plus anticlérical. Beaucoup de radicaux la partagent. Si les congrégations ne sont pas en faveur, si on les condamne, si on les supprime, ce n’est pas à leurs yeux une raison pour supprimer du même coup la liberté de l’enseignement : il semble plutôt que ce soit le contraire. Au point où nous en sommes, si une liberté périt, c’est encore quelque chose d’en sauver une autre. Nous ne reconnaissons d’ailleurs pas d’une manière absolue le droit des congrégations à l’existence, et nous nous sommes toujours borné à dire qu’entre ce droit sans limites et la suppression complète, il y avait place pour des solutions intermédiaires. La loi de 1901 les avait cherchées, très gauchement il est vrai. M. Combes est venu et a tout sabré.

Mais cette liberté de l’enseignement que M. Clemenceau défend à sa manière et qu’un grand nombre de radicaux, qui n’osent pas le dire, verraient supprimer avec regret, est attaquée en ce moment avec une violence inouïe par toute une fraction du parti ministériel, composée à la fois de jacobins sectaires et de théoriciens du droit, du devoir même qu’ils attribuent à l’État de figer toutes les cervelles dans le même moule afin de réaliser, comme ils disent, l’unité morale de la France. Jamais assaut plus redoutable n’a eu lieu contre elle. Le même groupe du Sénat qui a déjà pris l’initiative de nous donner le service de deux ans, sans aucune des garanties qu’exigeait la prudence, a pris celle de rétablir le monopole universitaire. Un sénateur de Vaucluse, M. Béraud, s’est mis à la tête de ce mouvement, et a déposé une proposition de loi qui a été aussitôt signée par une centaine de ses collègues. Une commission a étudié le projet, l’a modifié dans ses dispositions, mais non pas dans son esprit, et a chargé M. Thézard, sénateur de la Vienne, d’en faire le rapport. Nous n’entrerons pas aujourd’hui dans l’analyse de ce travail : il suffit de dire qu’il reconnaît à l’État seul le droit d’enseigner, et lui laisse la faculté d’en déléguer