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LES IDÉES MUSICALES D’ARISTOTE.


Le concours de plusieurs instrumens, à vent ou à cordes, ne procure pas d’agrément, car il éclipse la partie chantée.


Pour le coup « nous avons changé tout cela. » On pourrait assurer que l’évolution moderne de la musique vocale, — du celle-ci tout entière, — n’a guère consisté que dans ce changement. L’accompagnement d’orchestre, s’il s’agit d’opéras ou de drames lyriques ; s’il s’agit de mélodies » ou de lieder, l’accompagnement de piano, sont devenus l’un et l’autre un concours de plus en plus nombreux d’instrumens ou de « parties, » et l’éclipsé même de la partie chantée ne nous empêche plus d’y prendre le plus vif agrément.

Tel autre « problème, » au contraire, et non des moindres, formule une loi générale et qui nous gouverne encore aujourd’hui.


Pourquoi est-il plus agréable d’entendre chanter un morceau que l’on connaît déjà qu’un chant totalement inconnu ?
Est-ce parce que l’exécutant, lorsque l’auditeur connaît d’avance la mélodie, peut être suivi plus facilement, comme quelqu’un qui marche vers un but déterminé ?
Ou bien est-ce parce qu’on aime mieux approfondir qu’apprendre ?
La raison, c’est que, au dernier cas, il s’agit d’acquérir des notions (entièrement) nouvelles, tandis qu’au premier cas, faire usage de ce qu’on sait équivaut à reconnaître.
Ajoutons de plus que l’habituel paraît préférable à l’insolite.


Rien de plus juste que le principe ici posé ; rien, hormis les raisons, les dernières surtout, sur lesquelles Aristote le fonde. Elles sont tirées à la fois de la nature de la musique et de l’humaine nature. « On aime mieux approfondir qu’apprendre. » Cette préférence explique et dans une certaine mesure excuse la résistance que rencontre d’ordinaire le talent, voire le génie inconnu. Plus forte en nous et sur nous que la curiosité même, l’habitude nous fait voir dans l’esprit ou dans l’idéal nouveau la contradiction plutôt que la continuation de l’ancien. Les différences nous frappent et nous déconcertent avant que les rapports, plus lents à paraître, nous rassurent. Fidèles autant que nous, sinon davantage, à la tradition, les Grecs n’ont pas ignoré les soupçons, la défiance que l’inédit, ou l’inouï, nous inspire. Si simple que fût leur musique, peut-être parce qu’elle était simple, elle ne s’imposait ni du premier coup, ni au premier venu. Ne disposant ni de moyens rapides, ni d’effets brusques, foudroyans,