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simultané du langage artificiel des instrumens et du langage naturel à l’être humain[1]. »

Il semble seulement que les formules finales du problème pèchent par trop d’étendue et qu’elles ne distinguent pas assez. Que le pathétique soit « irrégulier tant dans l’excès du bonheur que dans le malheur extrême, » cela sans doute est la vérité même dans le domaine de la vie. Portée au comble, notre joie ou notre souffrance réelle se manifeste par le désordre, voire par l’incohérence. Et la musique, à cet égard, a parfois imité la nature. D’autres fois elle l’a corrigée, en l’ordonnant. La plainte de Doña Anna sur le cadavre de son père ; à l’extrémité et comme au pôle opposé de notre art, les sanglots de Tristan moribond, sont les chefs-d’œuvre d’un désespoir qui s’égare ; la déploration d’Orphée, celles d’Alceste ou d’Iphigénie, l’adagio de la sonate en ut dièse mineur sont l’expression contraire et sublime également d’une douleur qui se contient et se compose.

Ainsi, plus vaste et plus libre que toutes les théories, l’art pratique, en son évolution, a tantôt confirmé l’idée ou l’idéal d’Aristote, et tantôt il y a contredit.


Pourquoi aimons-nous mieux entendre une monodie doublée par l’aulos que par la lyre ?
Est-ce parce que toute chose à laquelle se mêle du suave devient elle-même plus suave ?
Or l’aulos est plus suave que la lyre…


Il l’était en effet. La lyre et les autres instrumens à cordes des Grecs avaient ce grave défaut, qu’on ne pouvait les jouer qu’en pizzicato. Les instrumens à vent seuls étaient capables de tenir et de lier les sons. Mais, du jour où sous l’archet et sur les flancs sonores des violons les cordes surent chanter, leur chant parut le plus suave en même temps que le plus fort, et la voix humaine trouva sa pareille, son égale et son alliée véritable en leur voix.

Si, pour nous ainsi que pour Aristote, il reste vrai que

le chant et le son de l’instrument à vent se mélangent à cause de leur affinité, car tous deux sont engendrés par le souffle humain,


on ne dirait plus, comme il le disait du son de la lyre, que le son du violon,

  1. M. Gevaert.