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voir en quelque sorte, sèchement, crûment, et non pas à travers ce prisme qu’on appelle une larme.

« Au reste, au milieu de cette douleur et de ce renoncement, vous avez, comme vous me l’exprimez si bien, des jouissances faites pour encourager, pour enorgueillir si vous n’étiez pas chrétiens ; vous avez, au temps de la disette, la moisson plus abondante de l’amitié. Que je voudrais être là pour y apporter de ma main mon épi ; pour jouir surtout avec vous et comme vous (tant je me crois vôtre) de tout ce qu’on vous apporte de toutes parts de tribut si sincère, si mérité !

« Tenez-moi vite au courant, chers amis, et du second vote (si vous ne l’avez déjà fait) et de la détermination sur le cours. Je ne vous dis rien pour tous, c’est trop habituel, et je vous serre bien vivement la main, cher Olivier, et vous les baise, Madame et chère amie. »


Ce dimanche 22 juillet 1838.

« Vous aurez reçu ma lettre, cher Olivier, en même temps que je recevais la vôtre. Tout ce que vous me dites des incertitudes où vous êtes sur l’avenir me touche bien vivement ; ce que je ne conçois pas, c’est que la décision soit rejetée au mois de novembre. Peste des républiques, si elles rendent ainsi les individus plus peureux, plus nuls, si elles paralysent les bonnes volontés personnelles et vous font instrumens serviles de la lettre de la loi ! Ici, du moins, on a encore la ressource d’un ministre qui pourrait prendre sur lui un acte de justice. Mais je vois que je m’en prends à la forme de ce qui est du fond, et que c’est plutôt au caractère du pays qu’au reste qu’appartient cette méticulosité. Il ne manque plus maintenant qu’une chose, c’est que le secret rigoureux vous soit tenu jusqu’à la fin, qu’on vous cèle la détermination probable de la commission, et que votre incertitude soit complète ; ils en sont bien capables, puisqu’ils ont promis le secret et que leur moralité les empêchera peut-être d’y faire une petite infraction. Il y a dans tout cela quelque chose qui fait plus que m’impatienter et m’inquiéter, et qui m’irrite. Mais je ne veux pas compliquer vos sentimens des miens en ce qu’ils ont d’indiscipliné ; tenez-moi bien au courant de chaque mouvement.

« Je vous ai écrit ces jours-ci des petites lettres d’introduction qui ne vous arriveront peut-être jamais ; Michelet est chargé de