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beaucoup plus bas, plus massifs et trapus que ceux d’hier et d’aujourd’hui, sans rien d’anguleux ni de cornu, sans chinoiserie d’infinie ciselure, sans rien de mongol que la belle variété de la décoration. Mais la profonde influence hindoue se décelait. Cela était venu de l’Inde avec l’ardeur bouddhiste, à l’époque où les idées élaborées dans la vallée du Gange s’en allèrent jusqu’au Nippon féconder tout l’Extrême-Orient. Cela était si grand, si grave, si ancien, si différent de tout ce que nous avions vu jusque-là qu’on eût dit les vestiges d’une religion oubliée, des sanctuaires de dieux morts comme ceux de la vallée du Nil.

Mais non ; par milliers les images du Bouddha peuplaient ces temples, vieilles de huit et dix siècles, identiques à celles dont nous retrouvons le culte, le soir, dans les villages, fixées dans les quatre poses sacramentelles, avec le geste invariable de la simple main qui se lève pour enseigner la paix. C’était bien alors la même religion qu’aujourd’hui. Seulement, la vie s’était retirée de ces vieilles enveloppes pour en faire lever d’autres, du même type, un peu plus loin, et tous ces monumens admirables où quarante générations de rois avaient consumé la substance de leurs peuples, où les foules dévotes s’étaient pressées durant onze cents ans, tous ces temples d’autrefois pourrissaient sur la rive comme un banc de coquillages, en vue de ceux qui, sur les collines d’alentour montraient l’espèce encore vivante. Simplement cette race frivole et nourrie comme d’un opium de nihilisme bouddhique, cette vieille race enfantine les avait abandonnés à l’inéluctable loi de la dissolution, — celle que subissent les choses, les hommes, les empires, les bouddhas, les univers, — puisque tout s’écoule en un jour, en un siècle, en un kalpa, et que rien n’existe que pour la mort.


ANDRE CHEVRILLON.