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forme humaine subisse la loi qui gouverne tous les « composés ; » qu’elle passe et disparaisse comme s’évanouiront les dieux et tous les univers ! En grande pompe on va brûler ce corps.

Avec de grandes réjouissances, et dans le plus gai décor de fêtes, car heureuse est la fin de cette vie que le Bouddha a définie : douleur. La mort marque un temps accompli dans le cycle de l’existence, un pas vers la totale libération. Quand il s’agit d’un saint personnage, l’allégresse est plus vive encore. Nul doute qu’il ne soit sauvé, cet archevêque, qu’il n’ait atteint le terme de toutes ses migrations. Il est semblable à la lampe dont parlent les vieux textes bouddhiques, à la lampe qui a tari toute son huile, si bien que nulle flamme nouvelle n’y peut plus venir briller. Aucune vie ne s’est allumée à la sienne qui tombait. Les malfaisantes énergies de son Karma sont épuisées. Il a vaincu l’illusion de l’être.

Ce soir, nous avons suivi la foule légère, les chariots traînés par les jolis bœufs zébus, amenant les familles de la campagne. C’est par un jour de gaîté comme celui-ci qu’il faut les voir, ces aimables Birmans. Avec leurs soies flottantes de roses pierrots, la grâce précieuse de leurs femmes, leurs physionomies spirituelles, leurs parures de théâtre, ils semblent faits pour un éternel papillotement de danses et de jeux élégans.

Un mur franchi, et voici le cœur de ce carnaval nocturne. Au-dessus de la confusion bruissante, dans la chaleur de la nuit tropicale et de la foule, mille lanternes suspendues à des fils, entre les cocotiers de ce parc, tendent des lignes de lumière. Nasillement de musettes ; cymbales, pétards, fusées. Files d’échoppes, dont les chandelles éclairent des monceaux multicolores de bonbons, des pâtisseries, des fritures et des boissons rouges et des fanfreluches dorées. La première impression est simplement d’une banale foire d’Europe. Il y a des tirs à la carabine, des jeux de boule, d’anneaux, des tables où l’on se presse pour la loterie. Mais cette loterie est celle des trente-six bêtes, passionnante si l’on en juge aux clameurs du public.

Vite nous franchissons cette frange extérieure et populaire de la fête. Plus loin, voici les jeux nobles, les « numéros » du programme officiel. Une seconde cour s’est ouverte devant nous, et, dans ce nouvel espace, sous des toiles tendues, des foules sont accroupies : immobiles îlots dans le flot mouvant des groupes. Impossible de voir exactement ce qui se passe sous