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flottille française alla recueillir les survivans, il en restait environ 2 000. Voici l’état dans lequel les trouvèrent nos marins, suivant le témoignage d’un officier de la flottille : « A la vue de notre pavillon qui leur annonçait le jour de la délivrance, les prisonniers, semblables à des spectres, se traînèrent le long des rochers ; ils en descendirent avec peine les escarpemens pour se précipiter vers le rivage en poussant des cris de joie… Deux cents de ces malheureux, frappés d’aliénation mentale, erraient au milieu de rochers inaccessibles, n’ayant d’abri que des cavernes. » Il est difficile de juger avec indulgence une capitulation qui a entraîné des conséquences aussi désastreuses. On le peut d’autant moins que les signataires de la capitulation n’ont point partagé le sort de leurs soldats, qu’ils ont été ramenés en France pendant que ceux-ci agonisaient sur les pontons de Cadix ou dans le désert de Cabrera. Notre pitié va si naturellement à ceux qui sont morts de faim, de privations et de misère, qu’il ne nous en reste plus pour les autres.


IV

Lorsqu’il apprit la capitulation de Baylen, l’Empereur éprouva un des plus violens accès de colère auxquels il se soit livré dans le cours de sa vie. Ce mot, qu’il avait été si satisfait d’appliquer à l’armée autrichienne et à l’armée prussienne en l’accompagnant de toutes les formes de la courtoisie militaire pour rendre hommage au courage malheureux, lui devenait odieux dès qu’il était appliqué à l’armée française. Les expressions les plus grossières et les plus insultantes se pressent sur ses lèvres, Il parle de trahison, de lâcheté, de déshonneur. Dupont et les généraux qui ont signé la capitulation sont des misérables qui ont perdu leur armée. Il les fera fusiller, l’outrage infligé à l’uniforme français sera lavé dans leur sang. Il apprend qu’on les a séparés de leurs soldats, retenus prisonniers de guerre contre la foi jurée et qu’on les ramène à Toulon. Aussitôt ses ordres sont donnés. Dès son débarquement Dupont est arrêté, on saisit tous ses papiers, on le conduit à Paris, où il est écroué à la prison militaire de l’Abbaye avec les généraux Marescot, Vedel, Chabert et le capitaine de Villoutreys, coupables d’avoir pris part aux négociations du 19 juillet. Les autres officiers du corps de la Gironde qui débarquent successivement à Toulon et à Marseille ne sont pas arrêtés,