Ce dimanche 15 juillet 1838.
« Mes chers amis,
« Vous trouverez dans la Revue de ce jour l’explication et, j’espère, l’excuse de mon long retard. Votre bonne lettre m’est arrivée précisément quand commençait pour moi ce que j’appelle ma faction de Lafayette dont je n’ai été relevé qu’hier soir six heures, et qui durait depuis lundi six heures du matin. J’avais attendu au dernier moment comme toujours, et je n’avais pas un quart d’heure libre : j’en ai souffert, croyez-le. Votre dernière lettre est triste ; il me hâte que vous soyez sortis d’incertitude sur cette position. Que je regrette qu’Olivier, en 1830, au lieu de quelques mois, ne soit pas demeuré une couple d’années à Paris ! Au lieu d’aimer Paris, comme il fait depuis longtemps, avec haine et aversion (je dis cela parce que je le crois à la lettre), il saurait tout simplement que c’est un lieu commode et où l’on se tire toujours d’affaire avec des relations et du travail, et vous y viendriez.
« Hélas ! quand je dis qu’on se tire toujours d’affaire à Paris (ce que je maintiens vrai quand on a la plume bien taillée), je n’oublie pas ce qui vient de se passer pour nos pauvres amis, les Valmore. Le mari, qui était sous-directeur de l’Odéon, mais sans engagement écrit et à la merci de Vidal, directeur des Français, a été congédié au terme où fermait le théâtre. Ils se sont trouvés sans rien ; leurs amis allèrent trouver M. Martin (du Nord), qui s’intéressa vivement à sa compatriote de Douai ; on avait découvert à M. Valmore quelque gérance dans une affaire de gaz ou de je ne sais quoi d’industriel. Une offre est venue à la traverse pour Milan, pour une place de comédien dans une troupe ambulante qui va jouer en français en Italie ! D’abord au couronnement, puis à Gênes, Rome, Naples ; il fallait oui ou non en vingt-quatre heures, puis en un quart d’heure. Tous les amis étaient conjurés contre un tel coup de désespoir : partir de Paris le 7 pour être à Milan le 14, pour y jouer le 18 ; la nécessité, le guignon, peut-être au fond l’habitude aventureuse, l’attrait du ciel d’Italie, et le goût de comédien persistant dans l’honnête Valmore, quelque diable enfin, tout les a poussés, et ils sont partis, toute la famille, harassés, pleurant, désolés, et pas encore malheureux. Puissent-ils ne pas l’être là-bas ! Mme Valmore est une femme si charmante, quand on la connaît, si naïve !