Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/136

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les sauver. S’il n’y réussit pas, si la capitulation n’est pas observée ou si elle entraîne des conséquences désastreuses pour ceux qui y sont compris, comment le justifier d’avoir déposé les armes au lieu de s’en servir jusqu’à la dernière extrémité ? Ce fut le cas de Dupont. C’était un soldat d’un incontestable courage ; il s’était très bien battu partout où il s’était trouvé ; le jour même de Baylen il avait conduit ses troupes au feu avec une admirable énergie. Lorsqu’il vit la partie désespérée, il crut de très bonne foi, en capitulant, sauver ses malheureux soldats épuisés, mourant de fatigue, de faim et de soif. Le malheur voulut qu’au lieu de les sauver, il les condamnât à la plus lente et à la plus douloureuse des agonies. Tout aurait mieux valu pour eux que le sort qu’il leur fit. La mort immédiate, sous la baïonnette ou sous le couteau des Espagnols, aurait été cent fois moins cruelle que la longue torture des pontons de Cadix ou de l’île de Cabrera.

C’est la faute des Espagnols, dira-t-on. D’accord. Mais, c’est aussi la faute de celui qui a eu confiance en eux. Sur cette terre d’Andalousie, violente et cruelle, au milieu de ces passions nationales et religieuses exaspérées, quel fond pouvait-on faire sur un morceau de papier signé par quelques hommes ? En admettant qu’ils fussent sincères, qui pouvait répondre que les clauses de la capitulation seraient acceptées par le gouvernement révolutionnaire dont ils dépendaient ? Ce fut, en effet, la junte de Séville qui refusa cyniquement de se considérer comme engagée et qui infligea aux 17 000 soldats de Vedel et de Dupont un traitement bien différent de celui qui avait été convenu. Avant de mettre sa signature au bas du texte, dans les heures qui précédèrent, Dupont eût pu recueillir quelques indices sur l’état d’esprit de ses adversaires. Il aurait pu se souvenir que ses propres malades venaient d’être égorgés à l’hôpital de Manzanarès. La menace faite par Reding de massacrer la division française la plus rapprochée de lui, si Vedel bougeait, était significative. Ce qui ne l’était pas moins, c’est la désinvolture avec laquelle les Espagnols au cours d’une suspension d’armes, dont une des conditions est l’immobilité des deux parties, s’attribuaient la liberté de se mouvoir qu’ils nous interdisaient. Dans les journées qui suivirent le 19 juillet, ils ne cessèrent de manœuvrer pour nous serrer de plus près et même pour envelopper Vedel, resté en dehors de leurs lignes. Ils se réservaient le droit de s’approvisionner, mais ils ne permettaient pas le passage des vivres