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militaire de l’homme. Sous le conquérant il y a le comédien toujours préoccupé de l’effet. On risquerait de grossir outre mesure l’importance de Dupont en supposant l’Empereur acharné contre lui, occupé à chaque instant de le diminuer. Il s’agit de tout autre chose, d’un procédé habituel, d’une altération fréquente de la vérité, dès qu’on trouve intérêt à l’altérer. Les Mémoires de Dupont lui-même nous offrent un exemple de la liberté avec laquelle l’Empereur procédait en pareil cas. Après la bataille de Montebello Dupont écrivait pour le ministre de la Guerre les détails de l’action dans la maison où se trouvait le Premier Consul ; celui-ci s’approche et, lisant le rapport à mesure qu’on l’écrivait, il dit tout à coup : « Vous mettez 1 500 prisonniers, ce n’est pas assez ; portez-les à 3 000 ; » et se reprenant aussitôt : « Non, mettez 6 000. Casteggio sonne mal, le nom de combat est trop faible ; il faut frapper l’opinion, mettez bataille de Montebello, cela fera plus d’effet à Paris. » Ici il exagérait pour faire valoir un succès. Ailleurs il diminue les chiffres pour pallier un échec ou pour qu’un lieutenant n’obtienne pas une part de gloire qu’il veut se réserver pour lui seul. Il n’y a rien là qui ressemble à un parti pris contre quelqu’un, à des rancunes ou à des ressentimens personnels.

M. le lieutenant-colonel Titeux a beau grouper une série de petits faits : il ne réussit pas à démontrer que, soit dans la campagne d’Italie, soit dans la campagne d’Autriche ou dans celle de Prusse, l’Empereur ait témoigné à Dupont des sentimens hostiles. Ne pas le récompenser, ne pas le nommer dans certaines circonstances, ne veut pas dire qu’on a contre lui des griefs. Cela peut simplement vouloir dire aussi qu’on n’a pas pour lui un goût très vif et qu’on ne le traite pas en favori. Napoléon, comme beaucoup de souverains, plus même que beaucoup de souverains, à cause du développement formidable de sa personnalité, avait des amis du premier et du second degré. Dupont n’était probablement que du second degré, ce qui n’implique aucune prévention contre lui, ce qui n’empêchait pas l’Empereur de causer familièrement avec lui la veille de la bataille de Friedland, de le féliciter le lendemain et de le nommer grand-aigle de la Légion d’honneur. Il serait difficile d’appeler cela une disgrâce, de transformer un témoignage si éclatant de satisfaction en une marque secrète d’hostilité. La vérité est qu’avant la capitulation de Baylen, Dupont ne fut ni jalousé, ni maltraité par